Page:Anjou - Véga la Magicienne, 1911.pdf/58

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Je les ignore. Mais depuis ma lointaine enfance passée au milieu de fêtes folles, d’un luxe insensé, d’une cour brillante et factice, j’ai pu réfléchir, j’ai vu la guerre et la révolution engloutir nos espoirs, j’ai connu les humiliations, toutes les souffrances… J’ai été si las de l’arrangement de mes jours d’exilé que j’ai voulu partir, me battre, occuper ma jeunesse, j’ai passé pour mort… je fus bien près de l’être ; mais un Essénien nommé Pol passait au travers du désert, il venait d’échanger les graines de la Nouvelle Atlantide contre d’autres, provenant d’un sol différent, il me découvrit mourant, m’enleva, me porta ici…

— Et depuis vous n’avez détrompé personne ?

— À quoi bon. Ma mère me pleurait… puis elle se consola, mes amis me firent des couronnes et me dirent des prières, et on m’oublia… Que pouvais-je pour le bien de mon pays ? Rien, je vécus ici comme un pasteur des temps bibliques et je fus très heureux.

— Comment vous a-t-on découvert ?

— Au sommet de l’Hymalaya vivent encore les trois rois Mages qui eurent le grand honneur de pouvoir adorer le Fils de Dieu.

— Que dites-vous ?

— La vérité. En retour des présents qu’ils lui firent et de leur visite adoratrice, le Divin Enfant leur accorda ce don : « Vous vivrez autant que la planète sur laquelle je viens de naître ». Et il arrêta le cours de leurs années, ils ont toujours le même âge. Or, là-haut, grâce à leur science, ils ont su se créer un climat enchanteur par la captation des radiations solaires, ils ne cessent d’étudier les étoiles… qui leur racontent la vie…

— Ah ! et ils ont vu la vôtre.

— Oui, mon ami Roger de Belley parvint, par suite de circonstances que je ne puis vous révéler, jusqu’aux Mages, et il fut initié à plusieurs de leurs très hautes études. Il érigea l’aspect horoscopique de ma destinée… et me trouva ici.

— Alors l’avenir aussi est écrit…

— Sûrement. Silence, enfant, ce que je viens de dire est assez.

— Je voudrais bien voir l’étoile de mon ami Daniel…

— Demandez à Roger. Retournez vers vos amis. J’ai encore à finir ce champ avant la nuit. Demain, je me rends à Kee-Taown, où un navire anglais amène ma mère.

— Oh ! et cela ne vous émeut pas.

— Si, profondément. Donnez-moi encore un baiser, comme tout à l’heure, c’est infiniment doux et si nouveau !

Véga, très simple, posa ses lèvres sur la joue de l’exilé, et bondissant comme une jeune chèvre, redescendit le sentier ; lui, la regarda fuir…

— Oh ! murmura-t-il, comme elle ressemble à ma pauvre Myna…


XL

La vie primitive

Véga ne s’arrêta qu’au port. Les matelotes réparaient l’Arcadia aidées des bienveillants indigènes qui ne demandaient aucune rétribution n’ayant nullement besoin d’argent. En ce pays de bénédiction, l’argent ne servait à rien, puisque chacun peut manger et se vêtir avec ce qu’il trouve en sa propre industrie, son personnel labeur. Et ce labeur est minime, favorisé par la fertilité d’une terre admirable, reposée, amendée pendant des siècles d’immersion. L’abri de hauts rochers la préserve des mauvais vents, et des courants atmosphériques et sous-marins lui procurent un climat enchanteur.

Les plantes textiles, les céréales, les fruits y abondent, les animaux importés y prospèrent. Ces animaux sont d’ailleurs peu nombreux, des chevaux, quelques taureaux, des vaches, des poules et des coqs. Les uns servent à aider aux travaux, les autres à produire le lait et les œufs.

Bien entendu, les habitants de la Nouvelle Atlantide ne se nourrissent que de fruits et de légumes afin de rester forts et doux. Ils pratiquent ce précepte : « Tu ne tueras point » et leur santé est parfaite, parce qu’ils sont dénués d’excès de fatigue physique, de surmenage intellectuel, d’envie, d’une alimentation irrationnelle. Ils vivent vieux et les vieillards meurent d’usure sans infirmité, vénérés de leur famille.

Aucune loi, aucune police n’est utile.

Il est aisé de comprendre par cette description combien ceux qui vivent à la Nouvelle Atlantide sont attachés à leur sol et ne veulent pas le quitter. Mais Véga ne pouvait admettre, malgré cette ambiance saine et pure, l’idée d’abandonner son ami, et elle voulait hâter son départ.

Après son inspection, elle rentra vers la maison de Pol où elle espérait retrouver Sophia.

Celle-ci était toujours au jardin, elle avait seulement changé de place, suivant l’ombre tournante du bouquet d’orangers qui l’abritait. Son mari s’occupait à cueillir des plantes vulnéraires qu’il voulait emporter en Europe. Myriem dressait la table du souper.

Elle appela Véga par ce nom qu’elle lui avait entendu donner :

— Venez m’aider, Véga, il faudrait retirer du four les galettes pendant que je vais aller traire le lait.

— Je ferai tout ce que vous voudrez, Myriem, employez-moi.

— Alors, faites aussi le thé et allez cueillir les abricots les plus mûrs, vous les voyez d’ici, n’est-ce pas, au fond de l’enclos.

La jeune fille sourit de loin à Sophia que son bras en écharpe privait de toute besogne, puis elle saisit adroitement les galettes dorées qui rôtissaient entre des pierres brûlantes et elle les étala sur des claies d’osier, ensuite elle prit une corbeille et partit faire la récolte des fruits couleur d’or.

Ah ! la bonne vie de Robinsonne et quel exquis repas l’instant d’après, quand tous réunis à la même table, ils partageaient l’agape fraternelle.

Myriem, son mari et ses deux fils se trouvaient parfaitement à leur aise avec le baron et la baronne de Belley.

L’ordonnance du service, sans aucun maître d’hôtel, était naturellement fort simple, chacun se servait et la causerie générale offrait l’intérêt d’actualité ambiante. On parlait des travaux, des petites choses vulgaires, puériles et douces.

Le père cependant, en voyant la cueillette de son hôte, expliqua la vertu des plantes coupées, le moyen de les employer et quand les étoiles se levèrent là haut, il montra à Véga comment elles marquaient l’heure.

Quand ils eurent soupé, on entendit venir du sommet de la colline un chant mélodieux, auquel des points divers de l’île, où se trouvaient des cases comme celle de Pol, on répondait par un chœur familial, où se mêlaient les voix des enfants et des hommes.

L’effet était saisissant, répercuté à l’infini par les échos des grands rochers.