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De même, il n’y a pas d’animaux dangereux ; pas d’insectes, les bêtes venues ici y ont été amenées par les Esséniens, à part quelques oiseaux de mer jetés par les vents et devenus « indigènes », rien ne put naître ici. C’est une île vierge. Ceux qui l’habitent en dirigent l’extension prospère.

Roger de Belley était maintenant tout près, il hâta le pas, vint s’agenouiller près de sa femme, l’entoura de ses bras :

— Ma Sophia, tu es sauvée ! Il semble que le miracle providentiel te suive…

— Sûrement, je suis protégée parce que je dois remplir une mission. Roger, veux-tu que je te présente Véga, l’enfant que j’amenai à l’île de la Stella Negra, il y a quatorze ans environ.

Véga s’était levée, le baron de Belley aussi, et une grande surprise se lisait sur leurs visages.

— Monsieur, dit la jeune fille, je ne retrouve dans mes souvenirs qu’une seule chose de vous : votre voix.

Sophia sourit à ces mots : — C’est tout ce qui lui reste du passé, murmura-t-elle.

Un regard vif de son mari lui imposa silence, mais la jeune femme reprit tranquille :

— Oh ! mon ami, j’ai l’intention de tout dire à Véga, cette enfant est digne de notre confiance, elle m’a montré à quel point elle était brave et bonne. Elle est un peu ma fille… et mon désir est de la voir le devenir tout à fait.

— Comment ?

— Nous l’adopterons légalement.

— Avant, s’écria Véga, je veux savoir ma mère, ma vraie mère !

Sophia l’attira dans ses bras : — Âme d’élite ! Ta vraie mère te redonnera à moi, sois-en sûre. Veux-tu me laisser un peu seule avec mon mari… Roger, peut-elle aller voir le Prince… où est-il ?

— Là-haut, au milieu de cette vigne, il en attache les branches avec des brins d’Alpha.

— Je cours vers lui, approuva la jeune fille.

Elle s’élança. Monter la pente était un jeu pour elle. Son cœur battait de joie. Revoir son ami, après une si longue absence ! savoir comment il avait pu fuir si loin !

Elle courait. La campagne était silencieuse, plus silencieuse que les autres campagnes, parce qu’aucune mouche ne bourdonnait, aucun papillon ne rayait de son vol le bleu du ciel, pas d’oiseaux, pas de murmures dans la haie, rien, qu’une toute petite brise secouant les épis d’or, courbés par leur poids, et mûrs pour la récolte.

Les branches vertes des vignes dominaient la moisson. Véga prit un sentier. Au bout, elle apercevait un chapeau de paille surmontant un grand corps vêtu de blanc :

— Lui, se dit-elle, il me tourne le dos. Comme je vais le surprendre. Elle se mit à marcher sans bruit et soudain, comme le travailleur se penchait sur un cep, elle passa ses deux bras à son cou :

— Mon Daniel !

Lui, stupéfait, se redressa, il vit, devant lui, cette ravissante fillette en costume marin, qui se jetait éperdument dans ses bras et il la repoussa.

Elle aussi reculait effarée : — Oh ! ce n’est pas Daniel !

Qui êtes-vous, Monsieur, je me trompe et vous en demande pardon, je cherche mon ami…

Il sourit, très doux, revenu de sa surprise. — Vous vous trompez, en effet, mon enfant, je n’avais pas droit au baiser que j’ai reçu, mais je vous en remercie. Depuis bien des années, je n’ai plus éprouvé pareil bonheur. Je ne connais pas Daniel, ne serait-ce pas plutôt M. de Belley que vous demandez ?

— Non… Celui que je demande aurait-il ici un autre nom ? Il est celui marqué par Dieu, le dernier descendant d’une lignée souveraine, le Prince que Sophia vient chercher.

— Mais… ce Prince, c’est bien moi.

— Vous !

Véga reculait, elle passait ses deux mains sur ses yeux :

— Vous !

L’impression était si forte que Véga, chancelante, pâlit.

Il passa autour d’elle un bras caressant :

— Nous vivons un rêve. D’où venez-vous ? Vous avez surgi dans cette vigne comme une petite fée. Vous m’appelez Daniel comme le prophète aux lions. Vous cherchez un Prince… et vous rencontrez un vigneron… Prince tout de même.

— Pardonnez-moi, Monsieur, je ne sais qui vous êtes et cela m’est très indifférent… je viens de passer à travers les plus grandes difficultés pour rejoindre un ami très cher, tout m’a fait croire qu’il était ici, je me suis trompée, je pars…

— Attendez un peu. On ne quitte pas ainsi la Nouvelle Atlantide.

— Celui que je cherche souffre, il est probablement prisonnier, tant de jalousies s’acharnent sur Lui, héritier du trône de France.

— Quoi ? héritier du trône de France ? lui aussi.

— Lui seul !

— Petite fée, qui donc êtes-vous ?

— Oh ! ça, je l’ignore absolument. Il paraît que ce soir je le saurai ; mais à coup sûr, moi, je ne suis pas princesse.

— Vous êtes fée, c’est bien mieux ! vous ressemblez grandement à quelqu’un que j’aimais. Voulez-vous vous asseoir un tout petit peu près de moi. Nous allons tâcher de trouver le mot de l’énigme.

— Oh ! c’est limpide. Celui que j’aime est le fils du dernier Roi…

— Ah ! moi je suis fils du dernier Empereur… mais de ces beaux titres, lequel vaut celui de simple vigneron ? Lequel peut donner un bonheur égal à celui qu’on cueille ici au milieu d’une nature généreuse, sous un ciel splendide, entouré d’amis sincères, simples, purs de cœur et d’intention. Si vous avez un ami qui soit fils de Roi, mon enfant, amenez-le ici, aucun trône, aucune puissance, ne valent un jour tranquille dans la Nouvelle Atlantide.

Elle fixa longuement son interlocuteur. Elle vit un très beau visage, resté jeune, des yeux bruns superbes de pensées et de clarté, un front noble, un sourire charmeur, et elle énonça lentement.

— Vous parlez peut-être comme un Sage, mais non comme un brave, de quelle utilité est votre vie ?

Il garda un peu le silence, surpris d’une question pareille et dit :

— Le premier des devoirs de l’homme est celui qu’il se doit à lui-même en admettant une conception juste de l’existence. Or, la conception juste de l’existence terrestre est le travail, la fraternité, la bonté envers ses semblables.

— Sans doute, mais tout exemple est un entraînement et ce n’est pas en vivant dans une île à peu près déserte, que vous améliorez l’humanité.

— Vous parlez comme Roger de Belley. Connaissez vous ma mère ?

— Je ne le pense pas. En venant ici, je croyais trouver le fils de Mme Angela.

— Ma mère se nomme autrement.

— Je le devine et tout s’éclaire dans ma pensée, j’ai fait fausse route.

Alliez-vous repartir avec les amis qui viennent vous chercher ?

— Oh ! non ! Je sais que ma mère doit venir à Kee-Taown, j’irai vers elle jusque-là, mais pour me rejeter dans les luttes politiques… jamais.

— Si c’était le salut d’un pays.

— Le salut d’un pays ne saurait être le fait d’un homme à moins qu’il ne soit un… Messie. Ceux de ma famille, qui gouvernèrent, firent au pays plus de mal que de bien, je ne crois plus au pouvoir monarchique. Ce qui est juste, c’est l’organisation primitive : la culture du sol avec chacun sa besogne, son repos, sa part.

— Vous avez les principes des Compagnons de l’Étoile Noire.