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Elle se mit à courir dans la mesure du possible, amusée du ressort des branches qui se refermaient claquantes derrière elle.

Aussitôt le dîner achevé, Véga résolue, sortit dans la cour suivie de son ami anxieux et elle s’écria les yeux levés vers les fenêtres de la chambre hantée.

— Il y a de la lumière !

Et elle partit lestement vers le donjon.

San Remo leva les yeux à son tour. Les deux fenêtres de la chambre mystérieuse qui lui faisaient face brillaient lumineuses et il apercevait sur les sapins le reflet venant des deux autres ouvertures situées à l’angle.

Il se hâta derrière Véga, non sans avoir saisi un bougeoir et une boite d’allumettes.

Quand il parvint à l’escalier, la jeune fille déjà rendue en haut heurtait à la porte.

— Venez vite, Daniel, éclairez, voyons nos cachets, la porte a-t-elle été ouverte ?

— Non sûrement, répondit le jeune homme un peu tremblant, après avoir allumé sa bougie, nos papiers sont intacts.

— Entrons.

Véga fit jouer le verrou, aisément cette fois, et le battant céda. La chambre était sombre et vide.

Ils allèrent aux fenêtres. Aucun cachet n’était brisé. Le livre de prières n’était plus sur la table, le capulet de laine blanche avait disparu.

— C’est tout de même inexplicable, fit Daniel. Quelqu’un entre et sort d’ici, mais par où ?

— À travers le mur… Mon ami, rentrez au château. Avant vous allez refaire un scellé à cette porte à l’extérieur, moi je vais en placer un à l’intérieur et je vais veiller ou… dormir ici.

— Je ne puis accepter pareille folie, Véga.

— Je le veux, sortez.

Elle le poussait dehors, continuant :

— Je dois être seule et bien entendu sans lumière, je vous défends de rester dans le donjon, retournez à votre chambre, couchez-vous. Le seul fait d’observer empêchera la Revenante de paraître.

— S’il vous arrivait malheur, que dirait celui qui vous a confiée à ma garde ?

— Il dirait : « Je reconnais bien mon élève, sans peur, sans reproche. » Allons, fuyez. Si vous n’obéissez pas, Daniel, je ne vous aimerai jamais…

— Méchante enfant.

Elle le pressait, lui fit passer le seuil et vivement repoussa le battant de chêne massif qu’elle assujettit avec la barre.

Une fois seule, elle se plaça debout au milieu de la pièce et eut l’idée d’une évocation :

— Revenante, Esprit, Fée ou Ange du ciel, venez vers moi qui ne vous redoute pas, venez, je suis seule ici et je suis seule au monde… Ceux qui habitent l’au-delà ne peuvent être méchants, puisqu’ils sont dans l’Éternité. Venez, mystérieuse Dame, et si vous savez où est ma mère, dites-le-moi.

Véga s’était agenouillée, les mains jointes, les yeux noyés, l’âme extériorisée. Sa prière mentale continuait ardente. Mais le temps s’écoulait et la jeune fille, vaincue par le besoin de repos, se jeta sur le divan où elle s’endormit profondément.

Comme le jour paraissait, Daniel, qui n’avait pu clore les paupières, grattait à la porte dont, bien entendu, les cachets étaient restés intacts.

— Véga, appelait-il d’une voix anxieuse.

— J’ai parfaitement dormi, je n’ai rien vu et je vous ouvre.

Elle retira la barre de fer condamnant la porte et sur le seuil de la chambre de mystère ils se sourirent heureux de se revoir. Daniel baisa longuement les deux mains tendues vers lui.

— Quelle heure est-il, mon ami, il me semble que vous êtes matinal comme l’animal emplumé emblême des Gaulois.

— Il est six heures, Véga, et je viens vous chercher pour déjeuner, ensuite une promenade, cela va-t-il ? L’auto est en gare, nous irons la chercher…

— D’accord.

Elle sauta légère les escaliers fantaisistes dénués d’une bonne moitié de leurs degrés et courut d’un trait à la salle à manger, où le cuisinier basque, matinal comme un montagnard, avait déjà servi le chocolat d’Espagne, aromatisé de cannelle, et des brioches chaudes…

Ensuite, ils partirent et comme ils passaient devant la source de la Périe, un marchand de vanille, déjà au poste, les suivit du regard avec assez d’intensité pour que Véga se retournât, attirée : « Tiens, pensa-t-elle, il ressemble à Barbentan ».

Ils allaient à pied dans le frais matin clair vers la gare de Bagnères, un peu lointaine, mais sur une route jolie, traversée d’un beau jardin, les cloches de l’église sonnaient à toute volée la messe du mois de Marie.


XIV

Feu du ciel ou de la terre

Plusieurs jours s’écoulèrent paisibles et doux, les deux amis de Val-Salut s’appréciaient à chaque heure davantage, ils goûtaient un grand charme à glisser dans le roulement berceur de leur voiture, la trouvant délicieuse et après l’avoir bien essayée, mise au point, ils avaient décidé de partir le lendemain pour le Pic du Midi.

Chaque nuit, Véga entêtée allait dormir dans la chambre hantée et ne voyait toujours rien, seulement il lui arrivait de petits messages. Une fois c’était une phrase soulignée au livre d’heures, le lendemain c’était une image finement dessinée représentant un petit enfant avec au-dessous ce mot : Daniel.

— S’agit-il du prophète Daniel dont il est parlé dans ce livre d’heures ou de mon brave compagnon ? se demandait-elle.

Et alors un matin elle laissa dans la chambre une photographie du comte de San Remo. Le soir, elle avait disparu.

Et naturellement jamais aucune trace de pas, jamais trace d’aucune issue, à part celles que des scellés protégeaient, donc mystère !…

Véga venait de s’installer pour dormir sur son divan, elle avait cacheté à l’intérieur sa bande de papier, Daniel en avait fait autant à l’extérieur de l’unique porte d’entrée. L’air lourd annonçait un orage et au loin des éclairs déjà illuminaient les sommets des monts.

Véga s’endormit.

Daniel inquiet ne se coucha pas tout de suite, il fut longtemps, puis s’assoupit. Le tonnerre ne s’accentuait pas. Soudain, un coup formidable fit tressaillir San Remo, il bondit de son lit et courut à la fenêtre de sa chambre d’où il pouvait apercevoir le donjon.