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j’ai tout bravé. Parti de Venise il y a cinq ans, je suis allé d’abord à Constantinople, puis un vaisseau m’a transporté sur les bords du Volga, au nord de la mer Caspienne… Là, tous mes compagnons, effrayés de la distance parcourue et de celle à parcourir encore, m’abandonnèrent. Un seul homme, mon domestique, Français d’origine, me suivit jusqu’à Bockara ; dans cette ville, un officier mongol, envoyé par ton fils Octaï à son frère Houlongaï, me vit, m’interrogea, puis me proposa de l’accompagner à la cour du terrible Dgenguiz-Kan. J’y consentis, et me recommandant à Dieu, je m’avançai à la suite de mon guide au-delà des extrémités connues de l’Orient. Après avoir voyagé douze mois, j’arrivai à Samarkandh, la résidence impériale, tu l’avais quittée pour voler à la conquête de la Chine, pays plus vaste encore que celui que tu gouvernais. Ton noble fils Octaï me reçut avec bonté ; un courrier vint bientôt lui annoncer que, renversant tout sur ton passage, tu avais pu pénétrer enfin dans cet empire mystérieux qui, pour se cacher à tous et se protéger contre tous, s’était entouré d’un rempart immense et jusqu’alors inaccessible. Je suppliai ton fils de me donner un guide qui pût me conduire jusqu’à toi… Il y consentit, et il me fallut sept mois de marche pour atteindre ton arrière-garde… Je perdis en route mon pauvre Landry. Surpris par un corps de cavaliers chinois, nous n’échappâmes que grâce à la vitesse de nos chevaux ; Landry, moins heureux que nous, fut pris ou tué. Enfin, j’ai vu s’accomplir le plus ardent de mes veux, j’ai vu le conquérant d’un monde nouveau pour moi, et, s’il daigne me le permettre, je le suivrai, quelque longue et quelque pénible que soit la route qu’il compte parcourir. Oui, seigneur, je te promets d’être aussi infatigable que toi ; invincible monarque, ta mission sur cette terre est de marcher toujours pour conquérir. Pauvre voyageur, la mienne est de marcher sans cesse pour voir et pour apprendre ; et monarque et voyageur, tous deux nous avons le même but, vivre dans la postérité.

DGENGUIZ-KAN. Tu veux me suivre… mais sais-tu bien que ma marche est un combat continuel ?

MARCO. Je combattrai.

DGENGUIZ-KAN. Et quand nous nous arrêterons tous deux ; moi, las de vaincre et toi las de voir, que feras-tu ?

MARCO. Je te demanderai la faveur de retourner à Venise, et là j’écrirai tout ce que j’aurai vu, j’écrirai surtout les grandes choses que tu as faites ; j’apprendrai aux peuples d’Occident qu’au delà des bornes du monde connu il y a des empires plus vastes, plus riches, que nos rois d’Europe que dans ce monde nouveau j’ai rencontré un conquérant plus illustre qu’eux tous ; enfin j’apprendrai à mes frères pour qu’ils le transmettent à leur fils et qu’il vive d’âge en âge, j’apprendrai le nom de Dgenguiz-Kan.

DGENGUIZ-KAN. Eh bien, j’accomplirai tes vœux, tu me suivra ; mais consulte bien tes forces et ta résolution, car celui qui marche avec moi ne sait ni dans quel lieu ni quand il s’arrêtera.

MARCO. Je suis prêt.

DGENGUIZ-KAN, à un officier. Qu’on donne à cet étranger le meilleur de mes coursiers, je l’attache à ma personne, il ne me quittera plus.

Marco s’incline en signe de reconnaissance.

YELU. Seigneur, des envoyés de l’empereur Tschongaï sollicitent l’honneur d’être admis en ta présence.

DGENGUIZ-KAN. Je consens à les recevoir.


Scène VII.

Les Mêmes, HIAOTSONG,
Mandarins et Soldats chinois.

HIAOTSONG. Puissant prince, notre Maître nous envoie vers toi pour arrêter l’effusion du sang. Par ma voix, le souverain maître du céleste empire te propose la paix.

DGENGUIZ-KAN. Envoyé de Tschongaï, te souvient-il du motif de cette guerre à laquelle aujourd’hui tu veux mettre un terme ? Tranquille possesseur d’un vaste territoire, je ne songeais point à tourner mes armes contre vous, lorsque Tschongaï, oubliant que la victoire m’avait fait au moins son égal, osa me donner l’ordre insolent de lui envoyer en tribut les plus belles de nos filles, les plus braves de nos guerriers et les plus infatigables de nos coursiers. Je t’ai répondu à toi qui t’étais chargé de cet imprudent message, que j’irais moi-même porter à Tschongaï le tribut qu’il m’avait demandé. Je suis venu.

HIAOTSONG. Seigneur, Tschongaï renonce au tribut qu’il avait cru pouvoir exiger de toi comme des autres chefs mongols.

DGENGUIZ-KAN. Et songe-t-il à m’en payer un à moi ?