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YELU. Tout en fuyant devant nous, cette troupe avait conservé ses rangs et fait assez bonne contenance ; mais, arrivés dans ce village, les fuyards ont méconnu la voix de leur chef, abandonné le dépôt sacré qui leur avait été confié, et ils se sont dispersés.

DGENGUIZ-KAN. Qu’est devenue celle qu’ils escortaient ?

YELU. Les habitans de ce village assurent que ces soldats ont précipité dans le fleuve le palanquin qu’ils désespéraient de pouvoir sauver… Les débris de ce palanquin et de riches vêtemens de femme que nous avons vu entrainer par le courant ne mous ont pas permis de douter.

DGENGUIZ-KAN. Ah ! j’aurais donné le trésor de Tschongaï pour avoir Elmaï en mon pouvoir… Je ne puis croire que cette femme ait ainsi péri victime de la lâcheté de ses défenseurs ; croyez-le, elle fuit avec eux à la faveur d’un déguisement, et demain peut-être elle armera contre nous des hordes nouvelles, elle suscitera contre nous de nouveaux obstacles… car cette femme est notre plus redoutable ennemie… Elle a le cœur d’un héros… et si elle avait régné seule sur cet empire, elle en aurait fait notre tombeau peut-être.

YANKI. Voilà le lait de chèvre.

DGENGUIZ-KAN, à Elmaï. Verse, femme… à La mort d’Elmaï.

Il boit.

UN OFFICIER. Seigneur, des cavaliers envoyés vers toi par ton noble et bien-aimé fils Octaï, viennent d’arriver, ils escortaient un étranger dont les vêtemens et le langage sont nouveaux pour nous. Cet étranger a pour toi un message d’Octaï.

DGENGUIZ-KAN. Qu’il vienne. Verse encore, femme ; ce lait de chèvre que tu me donnes est toute ma part du butin de cette journée.

ELMAÏ, à part. S’il savait.

DGENGUIZ-KAN, la regardant. Tu es belle. Es-tu née dans ce village ?

ELMAÏ. Oui, seigneur.

DGENGUIZ-KAN. Tu as un mari ?

ELMAÏ. Oui, seigneur.

DGENGUIZ-KAN. C’est un laboureur ?

ELMAÏ. C’est un soldat.

DGENGUIZ-KAN. A-t-il combattu contre moi aujourd’hui ?

ELMAÏ. Oui…

DGENGUIZ-KAN. L’as-tu revu depuis la bataille ?

ELMAÏ. Non

DGENGUIZ-KAN. Il est mort, peut-être ?

ELMAÏ. Dieu le veuille.

DGENGUIZ-KAN. Comment ?

ELMAÏ. N’a-t-il pas été vaincu ? ne vaut-il pas mieux mourir libre que de vivre esclave ?

YANKI, bas. Prenez garde.

DGENGUIZ-KAN, après un silence. As-tu des parens dans ce village ?

ELMAÏ. Moi…

YANKI. Oui, seigneur… je suis son frère… et peut-être son seul soutien à présent.

DGENGUIZ-KAN. Et toi, son frère, supportes-tu aussi impatiemment le joug du vainqueur ?

YANKI. Je suis un pauvre paysan, je nourris avec peine ma femme et mes enfans ; que Tschongaï ou Dgenguiz-Kan règne à Péking, le soleil n’en sera pas plus ardent, ni la terre plus inféconde. Yanki paiera, sans mot dire, le tribut à Tschongaï ou à Dgenguiz-Kan.

DGENGUIZ-KAN. À la bonne heure.

YELU. Voici l’étranger porteur du message d’Octaï.


Scène VI.

Les Mêmes, MARCO-POLO, Mongols.

DGENGUIZ-KAN. Approche… (Marco s’incline et remet à Dgenguiz-Kan un parchemin. Dgenguiz-Kan, après avoir lu :) Mon fils m’a fait de toi un complet éloge ; tu as passé près de lui l’année qui vient de finir, et il me prie de te traiter comme si tu étais son frère… Quel est ton non ?

MARCO. Marc-Paul.

DGENGUIZ-KAN. Ta religion ?

MARCO. Chrétien.

DGENGUIZ-KAN. Ton pays ?

MARCO. Venise.

DGENGUIZ-KAN. Venise…

MARCO. Ma patrie est inconnue à toi et à ton peuple, comme ton pays et ton peuple sont inconnus à mes frères… Cependant le bruit de tes immenses conquêtes, qui ne s’arrêtent qu’à la mer Noire, a retenti jusqu’à nous ; mais vague et confus ; ton nom même s’est perdu en traversant la distance qui sépare nos deux patries. Plus hardi, plus entreprenant que mes compatriotes, j’ai voulu connaitre et parcourir le premier les grandes et riches contrées dont les peuples d’Occident soupçonnaient à peine l’existence. Pour atteindre ce but, rien ne ma coûté, j’ai quitté ma famille, mes amis ; dangers, fatigues,