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Scène III.

ELMAÏ, YANKI, Paysans.

ELMAÏ. Vous, sujets de l’empereur mon époux… jurez-vous de ne pas me trahir ?

YANKI. Nous le jurons… Voici ma maison… vous y chercherez un asile.

ELMAÏ. On m’y découvrirait bientôt. Femme, donne-moi le plus grossier de tes vêtemens… hâte-toi.

YANKI. Que voulez-vous faire ?

ELMAÏ. Enlever aux Mongols ces dépouilles impériales qu’ils iraient jeter aux pieds de Dgenguiz-Kan.

Elle arrache sa couronne et ses riches vêtemens, et les jette elle-même dans le fleuve.

YANKI. Vite… vite… femme…

La femme de Yanki revient portant des vêtemens grossiers. Les femmes du village s’empressent d’en couvrir l’impératrice.

CRIS, au fond. Les Mongols ! les Mongols !…

Une troupe de paysans paraissent, fuyant devant la cavalerie mongole.

Scène IV.

Les Mêmes, YELU, HOLKAR,
Officiers et Cavaliers mongols.

HOLKAR. Soldats, au feu ce village…

YELU. Arrêtez ! le soleil de cette journée n’a-t-il donc pas éclairé assez de coupables désordres, assez d’inutiles désastres ? Songeons plutôt au but de notre poursuite ! Habitans de ce village, il ne vous sera fait aucun mal si vous nous dites la vérité. Avez-vous vu passer tout-à-l’heure une troupe de gens fuyant et emportant avec eux un riche palanquin ? (Silence général.) Répondez.

ELMAÏ, sortant du groupe des femmes qui la cachent. Des soldats de l’empereur Tschongaï ont en effet traversé ce village ; ils entouraient un palanquin… Mais, poursuivis de trop près par ta cavalerie, ils ont voulu presser leur marche, et ils ont abandonné le dépôt qui avait été confié à leur courage et à leur fidélité.

YELU. Ce palanquin.… où est-il ? Qu’en ont-ils fait ?

ELMAÏ. Dans la crainte qu’il tombât en ton pouvoir, sans doute, ils l’ont eux-mêmes précipité dans le fleuve.

YELU. Que dis-tu, femme ?.. C’est impossible ?

ELMAÏ. Regarde. Ne vois-tu pas flotter encore ces riches débris, ces brillantes parures ?

YELU. Plus de doute ! les lâches l’auront sacrifiée à leur terreur.

Bruit et acclamation.

YANKI. Qu’est-ce que c’est ?

HOLKAR. À genoux, esclaves ! à genoux ! C’est votre vainqueur, votre seul maître à présent. À genoux ! c’est Dgenguiz-Kan.

Grand mouvement. Tout le monde se prosterne. Dgenguiz-Kan, précédé de ses porte-étendards, et suivi de ses meilleurs guerriers, paraît. Aussitôt les paysans courent embrasser les pieds de son cheval, en criant : Grâce !

Scène V.

Les Mêmes, DGENGUIZ-KAN.

DGENGUIZ-KAN. Soldats… cette armée formidable qui devait nous anéantir n’existe plus. L’empereur lui-même a donné aux siens l’exemple d’une honteuse fuite… votre victoire est complète. À vous, mes braves, ces villes grandes comme des royaumes… à vous ces richesses incalculables, amassées pendant vingt siècles de paix et de prospérité… C’est plus qu’un empire, c’est un monde que vous avez conquis. (On répond par des acclamations ; sur un signe de Dgenguiz, des esclaves viennent s’agenouiller, et lui servent de degrés pour descendre de cheval.) Le reste du jour et toute cette nuit, repos à mes troupes… demain nous nous remettrons en marche pour ne plus nous arrêter que devant les murs de Péking ; c’est seulement dans cette capitale du céleste empire que nous nous reposerons des fatigues de notre longue et glorieuse campagne.

YELU. Seigneur, on a vainement cherché dans ce village une habitation digne d’avoir Dgenguiz-Kan pour hôte.

DGENGUIZ-KAN. Je n’ai pas encore oublié qu’il y a dix ans Dgenguiz n’était qu’un chef de horde qui avait toutes les nuits la terre pour lit de repos et une grossière toison pour abri ; que mes soldats me dressent une tente là sur cette place… (On obéit aux ordres de Dgenguiz. Une tente est dressée ; des peaux de bêtes amoncelées forment un lit de repos sur lequel Dgenguiz s’étend.) La chaleur est étouffante. (À Elmaï.) Femme, n’as-tu pas du lait de chèvre à me donner ?

ELMAÏ. Moi !

HOLKAR. Allons ! obéis, esclave.

YANKI. Je cours chercher ce qu’il faut.

DGENGUIZ-KAN. Yelu, tu me m’as pas rendu compte de ta mission… Es-tu parvenu à atteindre cette troupe ennemie qu’on nous a dit être l’escorte de l’impératrice Elmaï.