Page:Anicet Dgenguiz Kan ou La conquete de la Chine.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tschongaï trouve de la pitié dans vos cœurs ?… Aura-t-il pitié de vos femmes et de vos enfans ? N’avez-vous pas entendu Hiaotsong ? c’est une guerre d’extermination qu’on nous a déclarée… Eh quoi ! pas un bras ne se lève ? Faudra-t-il donc que ce soit le mien qui frappe et qui punisse ?

MARCO. Non, seigneur, il n’en sera pas besoin, tu ne souilleras pas ta glorieuse épée, tu ne la rougiras pas d’un sang impur et déloyal. Si tes guerriers hésitent à immoler une femme, moi, qui suis outragé comme toi, moi, qu’on a aussi indignement trompé, je me charge de notre commune vengeance. Tu veux la mort d’Idamé, abandonne-moi la victime, et avant une heure je la déposerai morte à tes pieds.

DGENGUIZ-KAN. Toi ?

MARCO. Oui ; dans mon pays la haine invente des supplices nouveaux, je te promets d’horribles représailles ; mais il faut qu’on me laisse seul avec cette femme.

DGENGUIZ-KAN. Elle est condamnée, je te la livre. Yelu, Holkar, suivez-moi ; nous allons ranimer le courage de nos soldats, examiner les positions de l’ennemi. Si nous ne pouvons plus vaincre, il faut au moins que notre défaite coûte cher à Tschongaï. (À Marco.) Tu me reverras avant une heure.

Il sort suivi de ses officiers, les rideaux se referment.

Scène VI.

MARCO, IDAMÉ.

IDAMÉ. Est-ce bien vous qui venez de promettre mon sang ? est-ce bien vous qui avez consenti à devenir mon bourreau ? Ah ! j’étais préparée à la mort ; mais je ne croyais pas la recevoir de votre main ; que la volonté du ciel s’accomplisse ! Frappez, je suis prête.

MARCO. Ah ! que Dgenguiz ait ajouté foi à ma barbare promesse, je l’espérais ; mais vous ! oh ! n’avez-vous donc pas deviné que si je me faisais le ministre de la vengeance de Dgenguiz c’était pour vous arracher à sa fureur ; n’avez-vous donc pas deviné que puisque j’existe encore c’est qu’il me reste l’espoir de vous sauver ?

IDAMÉ. Qu’entends-je ?

MARCO. Idamé, n’ai-je pas promis à votre mère de veiller sur vous, de vous protéger contre Dgenguiz lui-même ? Elle ignorait comme moi à quel danger vous livrait l’astucieuse et cruelle politique de votre père ; mais alors même qu’un serment sacré ne me lierait pas, avez-vous pu penser que je vous laisserais immoler sans verser jusqu’à la dernière goutte de mon sang pour vous défendre ?

IDAMÉ. J’avais fait le sacrifice de ma vie… mais j’accusais le ciel d’injustice. Peut-on mourir sans regrets quand on a seize ans et l’amour de sa mère ?… Ah ! parlez, parlez… est-il donc un moyen de me conserver à la tendresse de l’impératrice ?

MARCO. Oui, il en est un.

IDAMÉ. Oh ! la vie me sera doublement chère si je vous la dois.

MARCO. Mais ce moyen, oserez-vous l’employer ? croirez-vous assez à mon dévouement ?

IDAMÉ. Ah ! puis-je douter de vous ?

MARCO. Vous me connaissez à peine, et je vais vous demander une confiance semblable à celle que vous auriez en votre mère.

IDAMÉ. Parlez.

MARCO. Avant de quitter ma patrie pour m’aventurer dans des contrées inconnues, et craignant de tomber au pouvoir de peuplades barbares, je voulus me réserver le pouvoir d’échapper, par une mort prompte, à d’horribles tortures. Je porte là, dans cette bague, un poisen actif et sûr. En prenant tout ce que contient cette bague, la mort doit arriver comme la foudre ; mais en ne portant à ses lèvres qu’une faible parcelle du poison, il n’amène plus que le sommeil, mais ce sommeil, lourd, profond, est la parfaite image du trépas. À peine aurez-vous senti sa terrible influence, que les roses de ves joues s’effaceront, votre regard s’éteindra, votre cœur ne battra plus, le froid du tombeau glacera votre front, et vous resterez sans mouvement et sans souffle. Ce sommeil doit durer tout un jour. Morte aux yeux de Dgenguiz, il consentira facilement à vous renvoyer ainsi à votre mère, à votre mère, à laquelle je dirai : La parole d’un Chrétien est sacrée ; je vous avais promis de vous ramener votre fille saine et sauve… pauvre mère, ne pleurez plus, Marco a tenu son serment… votre fille existe… embrassez-la.

IDAMÉ. Ce poison ?…

MARCO. Le voilà… Vous hésitez encore… et le temps marche et nous presse. Ah ! mais que puis-je donc vous dire encore qui dissipe vos doutes ou vos craintes ? Idamé, faut-il vous avouer qu’alors même que la religion du serment ne me ferait pas un devoir de vous sauver, j’aurais, sans hésiter, sacrifié ma vie pour conserver la vôtre ? Faut-il vous avouer enfin que tout-à-l’heure, quand Dgenguiz