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et sont poursuivies par la cavalerie mongole. Avant une heure, le terrible Dgenguiz-Kan traversera ce village… si toutefois dans une heure ce village existe encore.

UN PAYSAN. Nous nous défendrons.

YANKI. Tu dis cela, parce que ta femme est jeune et belle et que tu crains que les cavaliers mongols te l’enlèvent… la jalousie te donne du courage ; mais comme ma femme est vieille et laide, je pense tout autrement que toi ; la résistance rendrait nos ennemis plus cruels et plus impitoyables encore !… Un seul espoir nous reste… ce village est petit et de chétive apparence… les vainqueurs ne daigneront peut-être pas le détruire… Pourtant, croyez-moi, cachez tout ce que vous avez de précieux… vieillards, enfouissez vos trésors, maris, enfermez vos femmes ; mères, noircissez le visage de vos filles, et priez le ciel que vos ennemis passent vite et sans détourner la tête.

Ce qu’a dit Yanki s’exécute.

LA FEMME DE YANKI, avec effroi. Yanki !.. vois-tu là-bas ce nuage de poussière ?

YANKI. Oui… il vient à nous comme si le vent de la tempête le poussait.

LA FEMME. Ce sont les Mongols !…

Mouvement d’effroi général.

YANKI. Non… j’ai vu briller au soleil la ceinture dorée d’un de nos mandarins… je reconnais l’uniforme de la garde particulière de notre empereur Tschongaï…. Rassurez-vous… ce sont nos frères.


Scène II.

Les Mêmes, ONLO, ELMAÏ,
Soldats chinois.
Au milieu d’une troupe de Chinois qui courent en désordre et qui garnissent le théâtre, on distingue un riche palanquin porté par des gardes. Arrivés au milieu de la place du village, les fuyards s’arrêtent comme épuisés par une longue course.


ONLO, accourant avec quelques officiers. En marche, mes amis, en marche ; nous sommes toujours en vue de l’ennemi.

UN SOLDAT. Impossible d’aller plus loin… la chaleur… la fatigue…

ONLO. Malheureux ! oubliez-vous quel dépôt sacré vous avez à défendre ?

UN SOLDAT. Dis-nous de combattre… de mourir… nous sommes prêts… mais…

ONLO. Combattre… à quoi bon, quand la défaite est assurée ?… Accablés sous le nombre, pourrez-vous défendre longtemps le trésor dont nous devons compte à l’empire ?… Allons ! un dernier effort…

YANKI. Voilà un nouveau nuage de poussière qui grossit à l’horizon.. cette fois, ce sont les Mongols !

ONLO. Soldats, au nom de l’empereur…

Les soldats essaient de soulever le palanquin ; mais leurs forces les trahissent. Tout-à-coup les rideaux de gaze d’or et d’argent qui fermaient le palanquin s’ouvrent violemment, et une femme richement vêtue s’élance du palanquin et saute à terre.

TOUS. L’impératrice !..

ONLO. Quelle imprudence, madame !

ELMAÏ. C’est assez faire pour sauver une femme. Soldats, vous aviez juré de me ramener saine et sauve auprès de l’empereur votre maître ; je vous délie de votre serment… le poids de ce palanquin, le besoin de l’entourer et de le défendre retarderaient votre marche… et bien ! jetez ce palanquin dans les eaux du fleuve, et fuyez.

ONLO. Vous abandonner, jamais !

ELMAÏ. Tu l’as dit, toi le plus brave soldat de l’armée… la résistance serait inutile et folle… avec moi la fuite de ces hommes est impossible… autour de moi leur mort est certaine, et j’ai vu couler trop de sang aujourd’hui… Fuyez, vous dis-je… les débris flottans de ce palanquin feront croire à ma mort, et arrêteront peut-être la poursuite de l’ennemi.

ONLO. Je ne vous quitterai pas.

ELMAÏ. Je t’ordonne de conserver un bras à l’empire, un soutien à l’empereur… après son horrible défaite, il aura besoin de tes conseils et de ton épée… Onlo, je t’ordonne de guider ces braves gens, et d’annoncer à Péking ou mon retour prochain, ou ma mort… car Elmaï ne sera pas l’esclave de Dgenguiz-Kan, elle n’ira pas orner son triomphe… Je ne te demande plus qu’un dernier service… Donne-moi ton poignard. (Elle le prend.) Maintenant l’impératrice n’a plus rien à craindre… Va.

YANKI. On distingue sur la route les cavaliers mongols.

ELMAÏ, aux soldats. Fuyez donc… N’obéirez-vous pas au dernier ordre que vous donne votre impératrice ?

ONLO. Non… que ces hommes échappent à la mort… j’y consens… mais moi…

ELMAÏ. Soldats, entrainez votre chef. il faut qu’il vive pour qu’il me sauve ou qu’il me venge… Allez…

Les soldats, après avoir baisé le bas de la robe de l’impératrice, se précipitent sur Onlo et l’entrainent ; d’autres ont jeté dans le fleuve le riche palanquin qu’ils portaient. Ils disparaissent bientôt avec Onlo.