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LA COMTESSE.

Je bénis sa miséricorde qui me fait vivre jusqu’à ce jour… Je vous ai revus, mes fils, je mourrai heureuse. Car j’emporterai dans la tombe votre serment d’accomplir la sainte tâche que je vais vous léguer.

RICHARD.

Quelle qu’elle soit, ma mère, nous l’accomplirons.

LA COMTESSE.

J’en suis sûre.

RICHARD.

Que devons-nous faire ?

RAOUL.

Parlez.

LA COMTESSE.

Quand vous aurez fermé mes yeux, rendez-vous ensemble à la métairie du Val des Roses… Là vous trouverez une jeune orpheline qui se nomme Odette… je ne puis vous dire à qui elle appartient… je l’ignore moi-même… Mais rappelez-vous bien que c’est pour vous un devoir de la protéger… Vous ne la rendrez qu’à Dieu, à un époux ou à son père… Voici mon chapelet pour elle.

RENAUD.

Il lui sera fidèlement remis, ma mère.

RICHARD.

Et quant à cette jeune Odette… nous ne la rendrons qu’à Dieu !…

ROLAND.

À un époux.

RAOUL.

Ou à son père.

LA COMTESSE.

Maintenant pour vous, qui êtes aventureux et que des périls surnaturels menaceront peut-être… pour vous, mes fils, voici quatre anneaux. Si quelque jour vous vous trouviez l’un ou l’autre, dans un de ces dangers contre lesquels tout courage humain est impuissant, jetez l’un de ces anneaux en invoquant mon nom, votre ange gardien me le rapportera au ciel, et par mes prières j’obtiendrai peut-être votre salut… À toi cette émeraude, Renaud ; Richard, prends ce rubis ; ce diamant pour toi, Roland… que cette topaze brille à ton doigt, Raoul. (Elle distribue les quatre anneaux. Chacun des fils porte respectueusement le sien à ses lèvres et le passe à son doigt.)

RENAUD, se levant.

Mère, ce que vous avez dit nous le ferons… sur terre nous protégerons l’orpheline.

RICHARD, de même.

Au ciel nous invoquerons votre nom.

ROLAND, de même.

Nous le jurons par vous.

RAOUL, de même.

Par notre père.

TOUS LES QUATRE.

Par vous, par notre père.

LA COMTESSE.

Ce serment que je reçois, venez le renouveler devant Dieu, et que devant Dieu aussi votre mère puisse vous bénir.

GONTRAN.

Ouvrez la chapelle et faites passage. (Les quatre fils Aymon soulèvent le siége sur lequel leur mère est assise et le transportent, ils se dirigent vers la chapelle.)

LES PAYSANS.

Vivent les fils Aymon !



ACTE II.


Un bâtiment à jour, donnant sur un champ de roses. — Porte à droite et à gauche.


Scène I.

LANDRY, GRIFFON.
GRIFFON, à l’entrée, au fond, s’adressant à Landry qui affûte sa faux.

Ainsi, bonhomme, c’est ici la métairie du val des Roses… et c’est vous qu’on appelle maître Landry ?… vous en êtes bien sûr ?

LANDRY.

Mais oui, très-sûr, mon petit gars.

GRIFFON.

Très-bien, voilà mon affaire !

LANDRY.

Et que me veux-tu ?

GRIFFON.

À vous rien, rien !

LANDRY.

Et c’est pour ça que tu me déranges ?

GRIFFON.

C’est plutôt moi qui me suis dérangé… car vous êtes resté chez vous, tandis qu’il m’a fallu tricoter des jambes pendant six grandes lieues… vrai, elles sont trop longues… on devrait les couper en deux, je n’aurais eu que la moitié de chemin à faire… non, au fait… dans ce cas-là on compterait douze lieues… ça m’aurait fait le double… eh bien ! non… ça ne changerait pas la distance… c’est toujours la même chose… seulement vous demeurez trop loin… voilà !

LANDRY.

Enfin, qui t’amène ?

GRIFFON.

D’abord je vous préviens que vous aurez une surprise… et elle aussi !

LANDRY.

Qui ça, elle ?…

GRIFFON.

Une jeune orpheline, sans parents, à qui vous servez de mère.

LANDRY.

Ah ! bon… la petiote.

GRIFFON.

On ne m’a pas dit la petiote, on m’a dit Odette.

LANDRY.

Odette ou la petiote… ça revient au même… c’est un nom que je lui ai donné.

GRIFFON.

Ah !… eh bien ! il n’est pas joli… j’aime mieux Odette… je viens pour elle… de la part de sa protectrice.

LANDRY.

De la part de la comtesse ?… mais on assure dans le pays quel est morte depuis huit jours…

GRIFFON.

Justement… c’est pour ça qu’ils vont arriver ici tous les quatre !

LANDRY.

Hein ? les quatre qui ?

GRIFFON.

Qu’appelez-vous quatre qui ?… apprenez, maroufle, que je parle des quatre fils Aymon ?… Ah ça, vous ne comprenez donc rien ?

LANDRY.

Tu ne t’expliques pas.

GRIFFON.

Arrangez-vous pour les recevoir… ils vous feront l’honneur de passer la nuit chez vous… et moi aussi !

LANDRY.

Je vais bien vite préparer la plus belle chambre de la métairie… il n’y a que la mienne.

GRIFFON.

Nous la choisissons… pendant ce temps-là, faites-moi parler à mam’selle Odette !

LANDRY.

La petiote ? elle n’est pas ici… tu la trouveras aux environs, dans les champs… occupée à tresser des couronnes pour la Vierge… elle ne sait pas faire autre chose… (Il entre à gauche.)

GRIFFON, un moment seul.

Aux environs… c’est un peu vague, cette adresse-là… c’est égal… nous disons : une jeunesse qui fait des couronnes… qui s’appelle Odette… et qui répond au nom de petiote… je la reconnaîtrai en cherchant bien… voyons… de quel côté aller… parbleu, à droite. (Il va pour sortir en courant et se heurte contre un mendiant qui entre.)

LE MENDIANT, levant son bâton.

Maudit étourneau !

GRIFFON, esquivant le coup.

Décidément j’aime mieux prendre à gauche. (Griffon sort par la gauche, le Mendiant s’assure s’il est sorti et quitte son attitude courbée ; on reconnaît Maugis.)