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LE DÉMON DU JEU, à Richard.

Je vous suis envoyé par l’argentier de Ravenne.

LE DÉMON DE LA GUERRE, à Renaud.

Salut à vous, sire Renaud, au nom d’Alfred d’Angleterre !

ROLAND.

Elle m’a suivi ? (Le page fait un signe affirmatif.)

RAOUL.

Il m’attend, ce bon père ? (Même signe par l’autre page.)

RICHARD.

L’argentier serait là ? (Même signe.)

RENAUD.

Il vient me provoquer jusqu’ici ! (Idem.)

RICHARD.

Ma foi, la tentation est grande !

RAOUL.

Pour ma part, je n’y résiste pas !

ROLAND.

Quelques heures de retard ne sont pas un crime…

RENAUD.

Soit ! que chacun de nous réponde au défi… aujourd’hui la gloire !

ROLAND.

Le bonheur !

RAOUL.

La fortune ! Demain nous verrons notre mère !

RENAUD, aux quatre démons.

Gentils messagers, marchez, nous vous suivons !

LES QUATRE DÉMONS.

Venez ! venez ! (À part.) Ils sont à nous !


Scène VIII.

Les Mêmes, AMAURY, suivi de GURTH ;
un peu après, GRIFFON.
(Amaury paraît au moment où les quatre frères se disposent à sortir.)
AMAURY.

C’est vous que je cherchais, messires ; je viens de la part du supérieur vous annoncer une grave et douloureuse nouvelle.

LES FRÈRES.

À nous ?

AMAURY.

Va trouver les fils de la comtesse Aymon, m’a-t-il dit, et presse leur départ ; il faut qu’ils arrivent avant la fin du jour au manoir de Beuves s’ils veulent retrouver leur mère vivante encore.

TOUS LES QUATRE.

Notre mère !… Oh ! partons à l’instant !

LE DÉMON DE LA GUERRE.

Comment répondrons-nous à ceux qui nous envoient ?

RICHARD.

Par notre refus… On peut tout perdre en ce monde, excepté la bénédiction d’une mère. (Les démons remontent vers le fond.)

RENAUD.

Dépossédés de nos montures, pourrons-nous arriver à temps ?

RICHARD.

Oh ! si je n’avais pas perdu !

ROLAND.

Si tu n’avais pas joué.

RAOUL.

Le mal est fait.

RENAUD.

Et nul ne peut le réparer… En route !

AMAURY.

Un moment, messires ; vous m’avez nommé votre ami, je vous viendrai en aide… privé de mon cheval Bayard, je ne pourrai aller ce soir près de celle que j’aime ; mais je sais que c’est une douleur éternelle de n’avoir pas reçu le dernier embrassement de sa mère… Je vous cède Bayard ; Gurth amène-le à l’instant. (Gurth sort.)

GRIFFON, reparaissant et à lui-même.

J’ai vu le dortoir du couvent, les lits sont mollets… je vais donc me reposer.

RICHARD, à Griffon.

Nous allons partir.

GRIFFON, effrayé.

Hein ?

RAOUL.

Mais vous n’avez parlé que d’un cheval et nous sommes quatre.

AMAURY.

Il vous portera tous les quatre.

RENAUD.

Je le connais, il est bon.

ROLAND.

Et les bagages ?

GRIFFON.

Ah ! oui, les bagages.

RICHARD.

Griffon n’est-il pas là ?

GRIFFON.

Toujours Griffon !… J’avais raison de dire que je plaindrais un âne. (Il ramasse les bagages.)

GURTH, au fond, amenant le cheval.

Quand vos seigneuries voudront, Bayard est prêt.

AMAURY.

Au revoir, mes amis, bon courage. Dieu ne permettra pas que vous arriviez trop tard.

RENAUD.

Les fils Aymon n’oublieront jamais Amaury le Haudouin.

LE DÉMON DU JEU.

Ils nous échappent.

LE DÉMON DE LA GUERRE.

Nous les retrouverons… (Les quatre démons s’éloignent à droite et à gauche. Les fils Aymon, précédés de Griffon, se dirigent vers le fond où est le cheval, ils se disposent à monter. — Le rideau baisse pour se relever presque aussitôt. — Le théâtre représente la cour d’honneur d’un château gothique. Une chapelle à droite. Du même côté, au cinquième plan, la poterne et le pont levis ; il est baissé. À gauche, l’entrée du bâtiment d’habitation.)


Scène IX.

LA COMTESSE CLOTILDE, GONTRAN, Deux autres Écuyers, un Page et deux Femmes, des valets. (La Comtesse, pâle et souffrante, est assise dans un fauteuil et regarde vers la campagne.)
GONTRAN, à la Comtesse.

C’est peut-être une imprudence… madame la comtesse, de venir dans l’état de faiblesse où vous êtes, vous asseoir à cette place ; le vent est bien froid et souffle fort.

LA COMTESSE.

Si mes fils arrivaient, je les verrais plus tôt, et j’aurai si peu de temps à les voir !

GONTRAN.

Espérez, noble mère, espérez… (Bruit de fanfare au loin.) Écoutez, madame ; ce bruit, j’en réponds, annonce le retour des fils de mon maître.

LA COMTESSE, se ranimant.

Oh ! s’il était vrai ! (La fanfare se rapproche.)

GONTRAN, qui a été regarder vers la poterne.

Oui, vous dis-je, ce sont eux.

LA COMTESSE.

Merci, mon Dieu, je pourrai les bénir.


Scène X.

Les Mêmes, HOMMES D’ARMES, PAYSANS, puis RENAUD, RICHARD, ROLAND et RAOUL. (La marche continue. La Comtesse, soutenue par ses femmes, se tient debout ; les paysans arrivent en criant : Les voici !… Ils précèdent et suivent les quatre fils Aymon qui sont portés par le cheval Bayard. Les hommes d’armes se rangent au fond. Les quatre fils disparaissent un moment et rentrent après avoir mis pied à terre.)
LA COMTESSE.

Fils de mon noble époux, béni soit votre retour. (Épuisée par cet effort, elle se rassied.)

LES QUATRE FILS.

Salut à vous, ma mère. (Ils viennent tous quatre s’agenouiller auprès d’elle.)

LA COMTESSE.

Merci, mon Dieu, qui me donnez à ma dernière heure une suprême joie… mes fils… vous voilà tous les quatre près de moi, beaux et hardis, comme était votre père. Approchez encore, que mes yeux affaiblis vous puissent mieux voir, que ma voix éteinte déjà arrive jusqu’à vous.

RENAUD.

Bonne mère ! Dieu vous conservera à notre amour.