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GONTRAN.

Le jour se lève et les fils Aymon vont se rendre à la tente impériale.

UNE FEMME DE PEUPLE.

Et ils passeront par ce faubourg pour aller au camp ?

GONTRAN.

Sans doute.

UN HOMME DU PEUPLE.

Eh bien ! nous sommes en mesure de les recevoir.

LA FEMME.

Palmes, fleurs et couronnes, tout est pour eux.

GONTRAN.

Braves femmes !

CRIS, au dehors.

Les voilà ! les voilà !

L’HOMME.

J’entends galoper un cheval.

TOUS.

Les voilà !

LA FEMME.

Mais non… c’est un âne !


Scène II.

Les Mêmes, GRIFFON, monté sur un âne richement caparaçonné.
GRIFFON.

Oui, c’est moi, mes amis… Je suis Griffon, le brave Griffon… l’intrépide écuyer des fils Aymon… nous avons vaincu les douze pairs du royaume !… Dieu ! les beaux coups d’épée… et après la victoire… quelle marche triomphale !… on nous a offert des millions de pots de fleurs !… j’en ai même reçu un sur la tête…

GONTRAN.

Et tes jeunes maîtres ?…

ÉLOI.

Et la princesse Odette ?

GONTRAN.

Où sont-ils ?

GRIFFON.

La princesse a quitté la ville avec messire Richard et ses frères avant le lever du soleil ; elle doit être maintenant au camp de l’empereur… que dis-je ! elle est dans les bras, dans les immenses bras du colosse impérial.

LA FEMME.

Comment ! ils ne passeront pas par ici ?

L’HOMME.

Eh ben ! et nos fleurs, et nos couronnes… qu’est-ce que nous allons en faire ?

LA FEMME.

Une idée ! Dites donc, l’homme à l’âne ?

GRIFFON.

Permettez… c’est l’âne qui est à moi.

LA FEMME.

C’est-y vrai que vous étiez au fameux combat du grand pont ?

GRIFFON.

Oui, j’y étais.

LA FEMME.

Eh ben !… faut lui donner ce que nous gardions pour ses maîtres.

L’HOMME.

C’est ça… faut le couvrir de lauriers… Gloire à Griffon !

TOUS.

Gloire à Griffon ! (On le couvre de palmes de fleurs, de branches de laurier.)

GRIFFON.

Miséricorde ! j’en ai assez, j’en ai trop, vous allez m’étouffer, moi et mon âne.

L’HOMME.

Porte tout cela à tes maîtres.

GRIFFON.

Allons, il était écrit là-haut que je porterais toujours quelque chose. (Il pique son âne, le peuple le suit en criant et en lui jetant des branchages et des couronnes.)

Le théâtre change et représente la tente de Charlemagne.


Scène III.

CHARLEMAGNE, Pages, puis LES QUATRE FILS AYMON, ODETTE, AMAURY, MAUGIS et EDWIGE.
CHARLEMAGNE, aux Pages.

Laissez approcher maintenant ceux que j’ai cités. (Sur un signe des Pages, on voit entrer à droite les quatre fis Aymon, ainsi qu’Amaury conduisant Odette ; à gauche, Maugis, amenant Edwige.)

RENAUD, à Charlemagne.

Les fils Aymon ont tenu leur parole, sire ; au jour fixé par vous, ils vous ramènent Odette…

MAUGIS.

Au jour fixé par vous, sire, ils n’apportent pas un indice, pas une preuve !

CHARLEMAGNE, qui a contemplé tour à tour Odette et Edwige.

L’une des deux est ma fille… mais laquelle, mon Dieu ?… Seigneur, qui m’as inspiré, tu ne permettras pas que le mensonge puisse triompher… (Haut.) Écoutez…

MAUGIS, à part.

Que va-t-il dire ?

EDWIGE, bas à Maugis.

Je tremble !

ODETTE, bas à Amaury.

J’espère !

CHARLEMAGNE, à Odette et à Edwige.

Je vous ai appelées l’une et l’autre ici, pour tenter une épreuve décisive, terrible !… Dieu a voulu placer dans la couronne impériale qui, tout à l’heure, brillera sur mon front, un moyen miraculeux de confondre l’imposture… Vous monterez l’une et l’autre les degrés du sanctuaire ; en présence de notre souverain pontife, en présence de Dieu, vous poserez la main sur cette couronne ; la révélation céleste me l’a dit : celle de vous deux qui a menti, tombera foudroyée au pied du saint autel !… (Mouvement d’effroi.)

ODETTE, après avoir regardé Amaury, à demi-voix.

Vous m’avez dit que j’étais la fille de Charlemagne… un amour tel que le vôtre ne trompe pas… (Haut, avec fermeté.) J’accepte l’épreuve !

EDWIGE, à part.

Si j’hésite, je me condamne… la couronne ou la mort. (Haut, avec résolution.) J’accepte l’épreuve !

MAUGIS, à part.

Cette épreuve m’épouvante !

RENAUD.

Allez, Odette ; confiance et courage. Dieu qui vous voit et qui doit nous juger tous, sait que le mensonge n’a pas souillé nos lèvres.

CHARLEMAGNE.

Suivez-moi donc au pied du sanctuaire, et que Dieu lui-même décide entre nous. (Charlemagne rentre sous la tente : Maugis, prenant la main d’Edwige, se dispose à le suivre, mais Renaud lui barre le passage pour laisser passer Odette, que conduit Amaury. Sortie générale.)

Le théâtre change, et représente un plateau sur lequel on a élevé un riche autel. Sur cet autel brille la couronne impériale. On arrive à ce plateau par une pente rapide ; on découvre de là un immense panorama, dans la plaine les innombrables tentes du camp impérial. Tout autour de l’autel, des trophées d’armes et de bannières.

Au changement à vue on voit monter le cortège impérial, composé du clergé précédant le pape Léon III, puis Charlemagne en grand costume, entouré de ses douze pairs. Le clergé garnit les marches de l’autel, et tout le monde s’incline devant le pape.


Scène IV.

CHARLEMAGNE, LE PAPE LÉON III, LES QUATRE FILS AYMON, AMAURY, MAUGIS, ODETTE, EDWIGE.
CHARLEMAGNE, du haut de l’autel.

Voici l’heure de l’épreuve : la couronne est là et Dieu vous voit. (Odette et Edwige montent les degrés de l’autel, l’une avec confiance, l’autre essayant de maîtriser sa terreur. Tous les assistants suivent avec anxiété l’action des deux jeunes filles.)

LÉON III, se levant.

Chrétiens, priez pour celle qui va régner, priez pour celle