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AMAURY.

C’est courir à une mort certaine !

ROLAND.

Elle sera glorieuse au moins.

RICHARD.

Oh ! je l’ai vue de plus près à Bagdad… Partons, frères !

TOUS.

Partons !

ODETTE.

Non… non ! plutôt pour moi l’obscurité !

RICHARD.

Vous oubliez que nous avons fait un serment à notre mère.

RENAUD.

Et nous tiendrons ce serment. Seul, j’ai vaincu, mis en fuite les assassins d’Haraoun ; avec vous, mes frères, je ferais tête à toute une armée !

ODETTE.

Oh ! je tremble !

RENAUD.

Rassurez-vous, Odette ; si Maugis a pour lui les douze pairs du royaume, vous avez, vous, nos quatre épées. Venez donc, et quand sonnera l’heure du combat, mettez comme nous votre confiance en Dieu, en notre mère.

GRIFFON, à part.

Et en saint Bonaventure. (Ils sortent.)

(Le théâtre change et représente un paysage. — Vers le milieu du théâtre, la tête d’un pont qui se perd en fuyant vers la droite.)
ÉLOI, GONTRAN. (Ils sont en faction à la tête du pont.)
ÉLOI.

C’est vous, mon vieux Gontran ?

GONTRAN.

C’est toi aussi, mon brave Éloi.

ÉLOI.

La chance nous favorise ; nous voilà encore de faction ensemble, et tantôt nous ferons escorte aux douze pairs du royaume qui doivent assister au couronnement de Charlemagne que le pape Léon III va, dit-on, sacrer empereur d’Occident sur le champ de bataille où fut vaincu Wittikind, et où ce grand capitaine abjura ses faux dieux pour embrasser la religion du Christ.

GONTRAN.

Sait-on ce qui retient nos maîtres dans cette ville, et pourquoi on garde si sévèrement cette tête de pont ?

ÉLOI.

Oui… quatre aventuriers ont conçu l’audacieux projet de conduire à Charlemagne et de lui faire reconnaître pour sa fille une étrangère qu’ils protègent.

GONTRAN.

Il suffit pour les arrêter d’une escouade d’archers…

ÉLOI.

Non pas… car, grâce à leur renom de valeur, à la terreur qu’ils inspirent, ils ont traversé des armées entières… mais les voici arrivés à un passage qu’ils ne franchiront pas… car il est gardé par les douze plus vaillants chevaliers du royaume…

GONTRAN.

Ainsi c’est pour fermer la route à ces aventuriers que nos seigneurs se sont arrêtés ici ?

ÉLOI.

Oui, nos nobles maîtres ont envoyé ce matin leur défi aux quatre fils Aymon, qui déjà peut-être ont abandonné leur folle entreprise…

GONTRAN.

Tu dis que ce sont les fils du comte Aymon… Oh ! ceux-là ne reculeront pas, j’en suis sûr ! (On entend un son de cor.) Tiens ! voilà leur réponse !


Scène XVII.

Les Mêmes, LES DOUZE PAIRS, puis AMAURY.
(Les douze Pairs du royaume, suivis chacun d’un servant portant sa bannière, arrivent par le pont et viennent se ranger à droite.)
BAUDOUIN, aux Pairs.

Ce bruit de cor nous annonce un message… il va nous apprendre la soumission de nos imprudents adversaires… Archers, amenez ici l’envoyé des quatre fils Aymon… (Gontran sort et rentre aussitôt conduisant Amaury.)

AMAURY.

Hauts et puissants seigneurs, qui avez bien voulu honorer d’un défi mes nobles amis, Renaud, Richard, Roland et Raoul Aymon, je vous apporte leur réponse…

BAUDOUIN.

Qu’ont-ils décidé ?

AMAURY.

Ils acceptent le combat… (Mouvement.) L’entreprise est hardie, j’en conviens… mais ils ont confiance en Dieu… ils sont armés pour la justice et la vérité, le succès n’est pas impossible !

BAUDOUIN.

Suivant les termes de notre défi, ils ont eu le droit de choisir ceux d’entre nous qu’ils veulent combattre : nommez les quatre qu’ils ont désignés…

AMAURY.

Ils vous ont désignés tous les douze…

BAUDOUIN.

Ah ! c’est trop d’insolence ! Au combat !

LES DOUZE PAIRS.

Au combat ! (Ils remontent le théâtre suivis de leurs servants et garnissent le pont, comme pour en défendre le passage. On entend au loin une rumeur. Des paysans précédant les fils Aymon entrent par la gauche et, regardant en arrière, ils annoncent l’arrivée des quatre protecteurs d’Odette. Les gardes refoulent les paysans vers le premier plan à droite et se mettant en ligne pour les contenir. Les quatre fils Aymon en costume de guerre arrivent par la gauche.)


Scène XVIII.

Les Mêmes, RAOUL, RENAUD, RICHARD et ROLAND,
Gardes, Peuple.
RAOUL, RENAUD, RICHARD et ROLAND.

Passage à la fille de Charlemagne !

BAUDOUIN.

Arrière les soutiens du mensonge !

RICHARD.

Devant celle que nous conduisons, tout obstacle doit céder !

BAUDOUIN.

Il y a ici une barrière qui ne s’ouvrira pas !

RENAUD.

Nous la renverserons !

RENAUD, RICHARD, RAOUL et ROLAND.

Protége-nous, ma mère ! (Ils attaquent vigoureusement les douze Pairs, un contre trois ; un moment ils semblent reculer, mais c’est pour attirer leurs adversaires hors de la position qu’ils occupent. Ceux-ci, dans l’ardeur du combat, quittent la tête du pont et s’avancent, enveloppant les quatre fils, qui forment le carré et combattent dos à dos pour faire de toute part face à l’ennemi ; mais bientôt ils parviennent à se dégager et occupent à leur tour la tête du pont.)

RENAUD.

Passez, Odette !

LES TROIS FRÈRES.

Passez !… (Protégés par les quatre épées, Odette, Amaury et Griffon traversent le pont. Ceux des pairs qui sont restés debout tentent un dernier effort pour s’opposer à leur passage, mais ils sont tenus en respect par les fils Aymon.)



ACTE V.


Une rue de Paris.


Scène I.

ÉLOI, GONTRAN, Hommes et Femmes du peuple tenant en main des palmes et des couronnes.
ÉLOI, aux Bourgeois et Bourgeoises rassemblés.

Oui, mes amis, nous l’avons vu, de nos yeux vu, les quatre fils Aymon ont vaincu les douze pairs de Charlemagne, et la jeune fille a pu traverser la ville de Francfort. Messire Alcuin a reçu les nobles fils du comte Aymon et leur a dit : « L’empereur plongé dans le doute, se débattant incertain entre le mensonge et la vérité, veut demander à Dieu la lumière. Demain, seulement demain, aux premiers rayons du jour, au pied de l’autel élevé pour la cérémonie du couronnement, en présence de toute son armée, sous les yeux du saint Père lui-même, Charlemagne daignera vous recevoir et vous entendre.