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magne et auraient tenu leur promesse.

RAOUL.

Et si la fortune les avait trahis, s’ils n’avaient pu racheter notre vie fût-ce ici même, ils seraient venus à nous, et nous mettant dans la main à chacun une épée ; ils nous auraient dit : Frères, combattons et mourons ensemble. (Chacun des exécuteurs jette alors les pans rouges de son manteau, et l’on reconnaît Renaud et Richard, ils tirent de dessous leur robe une épée qu’ils tendent à Raoul et à Roland.)

RICHARD.

Bien dit, Raoul !

RAOUL.

Richard ! Renaud !

RENAUD.

Combattons, frères, et mourons ensemble !

LE PEUPLE.

Miracle ! miracle ! (Les hommes d’armes veulent faire un mouvement pour s’emparer des fils Aymon ; mais le peuple se soulève alors.)

AMAURY, une épée à la main.

La vie sauve et passage aux quatre fils Aymon…

LE PEUPLE.

Oui, la vie sauve et passage, passage ! (Il renverse les hommes d’armes, puis s’écarte respectueusement pour faire place aux quatre fils Aymon, qui, tous quatre appuyés sur l’épaule l’un de l’autre, traversent la foule qui les salue de ses acclamations. Le théâtre change et représente l’intérieur de la grange d’Odette au val des Roses.)

MAUGIS, ÉLOI.
ÉLOI, entrant avec Maugis.

Arrêtons-nous dans cette métairie, messire ; donnons à nos chevaux hors d’haleine quelques instants de repos.

MAUGIS.

Recommande-les toi-même au métayer ; songe que la rapidité de leur course a pu seule nous sauver, et que nous ne serons en sûreté qu’à l’abbaye de Saint-Julien.

ÉLOI.

Comptez sur mon zèle, messire. (Il sort.)


Scène VIII.

MAUGIS, seul.

Vaincu par les fils de mon odieux rival !… Leur mère, ange invisible, s’est toujours placée entre eux et ma haine… Renaud, Richard, Roland et Raoul sont à présent réunis. Mes vassaux révoltés ont désarmé mes soldats, envahi mon château, renversé ma bannière, et j’ai dû, moi, Maugis, fuir devant les quatre épées !… J’ai voulu consulter de nouveau le livre de l’enchanteur Merlin… Ce livre est désormais fermé pour moi. Ni science, ni magie ne peuvent donc plus me secourir contre mes ennemis ? Ils amèneront à Charlemagne cette Odette que des traîtres ont épargnée et que Renaud et Richard sont allés reprendre au harem de Bagdad. La force seule me reste, et quelle force ! Pour lutter victorieusement contre de tels adversaires, où trouver des alliés, des adversaires qui ne tremblent pas au seul nom de ces terribles guerriers ?… Il en est un peut-être… Oui, Baudouin, Comte d’Auvergne, le plus brave, le plus redouté des douze pairs du royaume ; Baudouin cachait mal son dépit lorsque devant lui on vantait à la cour les hauts faits de Renaud et de ses frères ; Baudouin, facilement trompé par moi, saisira avec empressement un prétexte pour combattre ses rivaux de gloire… C’est cela, appelons Baudouin, appelons les douze pairs de Charlemagne à mon aide, excitons-les adroitement contre de misérables aventuriers qui prétendent les braver et tromper leur maître. Écrivons en toute hâte, et sur cette route où ils ne prévoient pas d’obstacles, Renaud, Richard, Roland et Raoul trouveront la défaite et la mort. (Il écrit.)


Scène IX.

MAUGIS, ÉLOI.
ÉLOI.

Messire !

MAUGIS, écrivant.

Qu’as-tu donc ?

ÉLOI.

Je viens d’apercevoir, gravissant le chemin creux, une troupe d’hommes d’armes que suivait une grande foule. Nos ennemis peut-être ont retrouvé notre trace.

MAUGIS.

Nous leur échapperons encore cette fois. Nous allons nous séparer, mon brave. Tu vas remettre ce message au comte d’Auvergne. J’attendrai sa réponse à l’abbaye de Saint-Julien.

ÉLOI.

Je vous la porterai moi-même, messire

MAUGIS.

Fais diligence. (À Landry, qui entre.) Nos chevaux ?

LANDRY.

Sont prêts, monseigneur.

MAUGIS.

C’est bien. Partons, Éloi. (À part.) Malheur à tes fils, Clotilde ! Jamais plus grand péril ne les aura menacés, et ils n’ont plus d’anneaux qui les protégent. (Il sort.)


Scène X.

LANDRY, seul, puis Trois Nègres.

Eh ben ! vlà tout c’qu’y me donne pour l’avoir hébergé lui et ses deux chevaux pendant deux heures ! Décidément, il n’y a plus de bonnes aubaines au val des Roses depuis le départ de la petiote et des quatre fils Aymon. (Ici, trois Nègres entrent les deux premiers portent des coussins, et le troisième un grand éventail en plumes.) Hein ! qu’est-ce que c’est que ça ? À qui donc ces noirauds-là ?


Scène XI.

Les Mêmes, GRIFFON, richement vêtu.
GRIFFON.

À moi, maroufle ! Ce sont mes gens !

LANDRY.

Bah ! c’est toi, Griffon ?

GRIFFON.

Moi-même ! Je vous permets de me reconnaître ; mais je te défends de me tutoyer.

LANDRY.

C’est différent. Asseyez-vous donc… voilà un escabeau.

GRIFFON.

Fi donc ! Je ne m’assoies plus que couché, à l’indienne ; ça me repose. Petits nègres, apportez coussins à bon blanc. (Les Nègres placent les coussins ; Griffon se couche.)

LANDRY.

Ah ça, je rêve ! Comment se fait-il ?…

GRIFFON.

Tu ne comprends donc jamais rien, manant ! Je veux bien te raconter les aventures merveilleuses qui me sont arrivées… Petit nègre, chasse les mouches à bon blanc.

LANDRY.

Des aventures !…

GRIFFON.

Ça va t’intéresser beaucoup : écoute bien. Je te passe mon voyage en mer ; je te passe mon arrivée à Bagdad, l’histoire du juif Barabas, la partie de dés de messire Richard ; je te passe l’entrée triomphale du grand vizir. Comprends-tu ?

LANDRY.

Mais si vous passez tout…

GRIFFON.

Tu n’as besoin de savoir qu’une chose, c’est que la princesse Odette, qui s’était jetée dans un fleuve très-profond, aurait pu être sauvée par moi ; mais j’ai dû céder le pas à messire Richard. C’était non maître, il avait le droit de passer devant… Petit nègre, bon blanc a une mouche là.

LANDRY.

Alors, vous êtes donc revenus ?

GRIFFON.

Est-y bête ! Il me voit et il me demande ça… Oui, nous sommes revenus chacun avec une part de gloire. J’ai demandé la mienne en sequins et en nègres.

LANDRY.

C’est bien aimable à vous d’être venu me voir.

GRIFFON.

Je n’y pensais pas du tout… En arrivant en France, mes maîtres ont conduit la princesse dans leur château de Beuves, et l’y ont laissée sous bonne garde pour aller retrouver leurs frères qui étaient restés en gage.

LANDRY.

Comme ça, la princesse est au château ?