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coup et en vingt points. (La partie s’engage, chacun compte ses coups.)

ABOUL-MULEY.

Six !

RICHARD.

Six !

ABOUL-MULEY.

Et cinq, onze ! (Au Juif.) Ça va bien !

RICHARD.

Et six, douze ! ça va mieux…

ABOUL-MULEY.

Dix-sept. (Au Juif.) Le coup est superbe !…

RICHARD.

Dix-sept !… celui-là vaut l’autre.

ABOUL-MULEY.

Dix-neuf. (Au Juif.) Mon pauvre ami, tu es empalé.

RICHARD.

Dix-huit… (Aboul-Muley et Richard se lèvent.)

ABOUL-MULEY.

Voici le dernier coup. (Il agite le cornet.)

RICHARD.

C’est la vie ou la mort ! (Il agite aussi son cornet. Tout le monde se rapproche, les deux joueurs vont jeter les dés. — Le rideau tombe pour se relever presque aussitôt. — Le théâtre représente la place du marché de Bagdad. À droite, l’entrée du palais du calife. Au fond, la ville.)


Scène XVI.

MOSOUL, GRIFFON, ODETTE, Seigneurs, Esclaves, Habitants de Bagdad. (On attend l’ouverture de la vente. On voit trois palanquins fermés dans lesquels sont des esclaves à vendre ; dans celui qui est à gauche il y a une Persane ; au milieu est Odette ; le palanquin à droite renferme une Égyptienne. On entend sonner la cloche du marché.)
MOSOUL.

Sous la bénédiction du prophète et avec la permission du cadi, la vente est ouverte.

GRIFFON, entrant.

On va vendre des femmes je suis curieux de savoir ce que ça vaut par ici…

MOSOUL, ouvrant le palanquin à droite.

Nous commencerons par cette jeune Persane… À huit cents sequins l’esclave !…

GRIFFON, à part.

Elle est très gentille, mais ça dépasse mes moyens…

MOSOUL.

À neuf cents sequins… Adjugé au seigneur Nihil, le grand eunuque !

GRIFFON, à part.

Pauvre petite ! qu’est-ce qu’il va en faire ? (Un vieillard emmène la Persane qui sort du palanquin.)

MOSOUL, allant au palanquin à droite.

Nous passons ensuite à un charmant produit de la terre d’Égypte… (Il ouvre les rideaux, on voit une Égyptienne.)

GRIFFON, à part.

Ça doit être une momie… (La regardant.) Non, c’est une jeune fille… Ah ! elle est d’un bien beau jaune !

LES ASSISTANTS, désignant le palanquin du milieu.

Non ! celle-ci ! celle-ci !

MOSOUL.

À cinq cents sequins l’Égyptienne !

LES ASSISTANTS, réclamant.

La seconde ! d’abord la seconde !

MOSOUL.

Je vous la réservais pour le bouquet, messeigneurs… c’est du fruit rare et nouveau… une chrétienne, une Française !…

GRIFFON, à part.

La princesse Odette !

MOSOUL, ouvrant les rideaux du second palanquin.

La voici ! (On aperçoit Odette, assise dans le palanquin. Mouvement d’admiration des assistants. Odette abaisse sur son visage le voile qui couvre sa tête.)

GRIFFON, à part.

On va la mettre aux enchères… et je n’ai que six sous parisis…

MOSOUL.

À huit mille sequins, l’esclave chrétienne !

GRIFFON, se grattant l’oreille.

C’est trop cher pour moi !

UN DES ASSISTANTS.

Neuf mille !


Scène XVII.

Les Mêmes, RICHARD.
RICHARD, accourant.

Dix mille sequins !

GRIFFON, à part.

Il était temps !

ODETTE, à part.

Richard !

GRIFFON.

Vous avez donc de l’argent ?

RICHARD.

Je n’avais plus que ma vie, je l’ai jouée, et j’ai gagné dix mille sequins… il fallait avoir la main heureuse ; faute d’un point j’étais mort !

MOSOUL.

L’esclave chrétienne est à toi…

ODETTE, s’élançant hors du palanquin et allant à Richard.

Je suis libre… vous m’avez sauvée !

MOSOUL.

Un moment… elle est à toi, si personne ne se présente pour surenchérir avant que j’aie achevé de lire trois versets du Coran, c’est la loi… (Il déploie un rouleau de parchemin, sur lequel sont écrits des versets du Coran. Il se met à lire à voix basse. Les assistants à la vente se groupent et semblent se consulter. On emporte les palanquins.)

RICHARD.

Soyez sans crainte, Odette, nous avons juré de vous ramener à votre père… et fût-ce au prix de notre sang, nous ne vous aurions pas laissé subir la loi d’un maître !…

ODETTE.

Dieu m’eût pardonné de m’y soustraire par la mort !

RICHARD.

Ainsi donc, si la fortune ne m’eût pas permis de vous racheter…

ODETTE.

Je pouvais braver le déshonneur… car je me serais souvenue alors que je suis chrétienne et que j’aime Amaury !

GRIFFON, allant à Mosoul.

Vous n’avez pas encore lu ?… il épèle…

MOSOUL, cessant de lire.

Personne n’ayant réclamé, l’esclave chrétienne est adjugée au prix de dix mille sequins !

RICHARD, lui jetant plusieurs bourses.

Les voilà !… (À Odette.) Maintenant on ne nous séparera plus !…


Scène XVIII.

Les Mêmes, LE POURVOYEUR DU HAREM.
(Le Pourvoyeur du harem, qui depuis un moment a paru à l’entrée du palais, regarde Odette, puis il s’avance et se place entre elle et Richard.)
LE POURVOYEUR.

À moins que je ne veuille acheter pour le compte du calife… et j’achète…

MOSOUL.

C’est le droit du pourvoyeur du sérail…

ODETTE.

Qu’entends-je !

RICHARD.

Ce droit est odieux ! j’en appelle au calife !

LE POURVOYEUR, à des esclaves qui le suivent.

Emmenez cette esclave au harem… (On s’empare d’Odette.)

RICHARD, tirant son épée cachée sous sa robe.

Oh ! je la défendrai !

ODETTE, entraînée dans le palais, s’écrie :

Richard, priez pour moi !… (Elle est entraînée et disparaît.)

RICHARD.

Arrière tous ! je disputerai cette femme à Satan lui-même !… (Il s’élance à la poursuite d’Odette, mais il est arrêté à la première marche du palais.)

LE POURVOYEUR.

Saisissez cet homme ! il a mis le pied sur le seuil de ce palais, il a mérité la mort !… (On s’empare de Richard.)

GRIFFON, à part.

Mon pauvre maître, il est perdu… il n’y a que saint Bonaventure qui puisse nous tirer de là !