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RICHARD.

Oui, car il n’y a pas à douter de son authenticité ; il a été scellé avec l’épée de Charlemagne. (Il ouvre le parchemin.) Ah ! mon Dieu !…

RENAUD.

Qu’as-tu donc ?

RICHARD.

Regarde !… Oh ! c’est impossible !… (Il approche le parchemin de la lueur de la flamme pour mieux voir.) Rien !… il n’y a plus rien !…

RENAUD.

Les caractères écrits par Alcuin, l’empreinte du sceau royal, tout a disparu !

Les Mêmes, GRIFFON, arrivant tout effaré.
GRIFFON, d’une voix étouffée.

Messires !… messires !…

RENAUD.

Eh bien ?

RICHARD.

Tu as trouvé ?

GRIFFON, tremblant.

Rien.

RENAUD.

Pourquoi revenir alors ?

GRIFFON.

Parce que j’ai aperçu une demi-douzaine de bandits acharnés après un pauvre vieillard.

RICHARD.

Il fallait nous appeler.

GRIFFON.

Je n’avais plus de voix ; mais j’ai retrouvé des jambes.

RENAUD.

Allons à son secours.

GRIFFON.

C’est inutile… ils l’amènent de ce côté… Tenez, les voilà.

RICHARD, à Renaud qui veut s’élancer.

Arrête !… Dans la situation où nous nous trouvons, la prudence est nécessaire… Avant de nous engager dans une rencontre périlleuse, observons.

RENAUD.

Mais s’ils veulent tuer ce vieillard ?

RICHARD, entraînant Renaud derrière le marabout.

Nous serons là, Renaud.

GRIFFON, se cachant derrière Richard et Renaud.

Saint Bonaventure entendra encore parler de moi aujourd’hui.


Scène X.

Les Mêmes, derrière le marabout, ZAOR et les Quatre Musulmans, entraînant UN VIEILLARD.
LE VIEILLARD.

Misérables ! je vous ai dit mon nom et vous ne reculez pas devant le crime !…

ZAOR.

Ton nom, c’est ton arrêt !… Tu vois cette tombe ?

LE VIEILLARD.

C’est celle de Giafar le Barmécide.

ZAOR.

Oui, de Giafar, injustement mis à mort… C’est au pied de cette tombe que tu vas mourir. (Il fait chanceler le vieillard, qui tombe un genou en terre.)

LE VIEILLARD, renversé et menacé par les poignards.

Si Giafar fut coupable, le prophète m’enverra des défenseurs.

RENAUD, se montrant et mettant l’épée à la main.

Non pas le prophète, mais Dieu lui-même !

RICHARD, paraissant aussi l’épée hors du fourreau.

Arrière ! lâches meurtriers ! arrière ! (Les Musulmans, épouvantés, s’enfuient.)

GRIFFON, à part, s’est jeté à genoux en marmottant très-vite.

Saint Bonaventure, combats pour moi, mon bon petit saint Bonaventure !


Scène XI.

RENAUD, RICHARD, LE VIEILLARD, GRIFFON.
LE VIEILLARD.

Grâces vous soient rendues, vaillants étrangers.

RENAUD.

À l’avenir, vieillard, gardez-vous de voyager seul ; vous ne sortiriez pas toujours aussi heureusement d’une mauvaise rencontre.

LE VIEILLARD.

Pour que je puisse conserver le souvenir de mes libérateurs, dites-moi, de grâce, à qui je dois ce secours inespéré.

RICHARD, avec assurance.

Nous sommes deux ambassadeurs du roi Charlemagne, et nous nous rendons à la cour du calife Haraoun !

LE VIEILLARD, d’un air de doute.

Des ambassadeurs ?…

RENAUD.

Ne pouvons-nous savoir aussi qui vous êtes ?

LE VIEILLARD.

Un marchand de Bagdad, qui s’estimerait heureux de pouvoir reconnaître dignement le service que vous lui avez rendu.

GRIFFON, bas.

Messire Richard ?

RICHARD.

Hein ?

GRIFFON.

Si vous lui demandiez un chameau… il m’aiderait un peu.

LE VIEILLARD.

Je me rendais à mon habitation d’été ; mais j’en suis loin encore.

RICHARD.

Nous allons être forcés de vous quitter.

RENAUD.

Il faut que nous soyons à Bagdad à l’ouverture des portes.

LE VIEILLARD.

C’est fâcheux, attendu que deux épées comme les vôtres sont bonne compagnie en voyage.

RENAUD.

Une seule suffira, je vous accompagnerai.

GRIFFON, à lui-même.

Ah ! nous allons rester. (Il s’assied.)

RICHARD.

Debout, Griffon.

GRIFFON.

Hein ?… pourquoi ?…

RICHARD.

Nous allons à Bagdad.

RENAUD.

Nous nous retrouverons demain, mon frère.

RICHARD.

Au caravansérail de la mosquée d’Aly. (Renaud et le vieillard sortent par la droite, Richard et Griffon par la gauche.)

(Le théâtre change et représente la galerie d’un caravansérail ouverte au fond sur une rue de Bagdad. — À droite, au premier plan, une porte drapée par une tapisserie qui ferme l’entrée d’une salle intérieure.)

Scène XII.

Marchands, Voyageurs, MOSOUL, Un Muet,
puis RICHARD et GRIFFON.
(Ça et là, dans la cour, quelques voyageurs et marchands assis par groupes de deux ou trois personnes causent en fumant. Mosoul, le marchand d’esclaves, sort de la salle à droite ; il est suivi d’un Muet noir qui pose un coussin à terre et donne à Mosoul sa pipe. Le marchand d’esclaves s’assied devant sa porte. Alors arrivent Griffon et Richard venant de la gauche. Ils portent le turban et la robe des musulmans, elle est fermée par une ceinture et cache leurs vêtements européens.)
RICHARD.

Voyons si de ce côté et à la faveur de ce costume nous serons plus heureux.

GRIFFON.

Il est gentil le costume, la coiffure surtout ! il me semble que j’ai la tête dans un obélisque !

RICHARD.

Renaud n’arrive pas… ce vieillard l’aura emmené bien loin peut-être… N’importe ! avec ou sans mon frère… je saurai bien reconquérir celle que nous avons juré de ramener en France…

GRIFFON.

Prenez garde de vous embarquer dans quelque mauvaise affaire… songez que vous n’êtes pas seul.