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ce marabout. Allons l’attendre. (Ils sortent à gauche, au deuxième plan, en même temps que par la droite, au premier plan, entrent Richard, Renaud et Griffon.)


Scène VII.

RENAUD, RICHARD, GRIFFON.
RENAUD.

Si tu m’en crois, Richard, nous nous arrêterons ici.

RICHARD.

Comme tu voudras… Est-ce aussi ton avis, maître Griffon ?

GRIFFON, chargé d’un bagage.

Mon avis ! je n’ai plus la force de vous le donner.

RENAUD.

Encore Griffon qui murmure… nous avons beau changer de pays, il ne change pas d’humeur… c’est toujours la même complainte…

GRIFFON.

Parce que c’est toujours la même fatigue… c’est-à-dire, il y a quelque chose de plus… Ça tient sans doute à la qualité des bêtes de somme du climat que nous visitons… En Europe, on me chargeait comme un âne… ici, c’est comme un chameau.

RICHARD.

Mets ton fardeau par terre.

GRIFFON, le jetant et s’asseyant dessus.

Au fait ! il est bien mieux comme ça ! et moi aussi.

RENAUD.

Diable de pays chaud, les nuits y sont de glace.

RICHARD.

J’aperçois quelques étincelles au pied de cet arbre… C’est un feu allumé par des voyageurs sans doute.

RENAUD.

En rapprochant ces brins de bois, nous le ranimerons… (Il rapproche du pied les broussailles.)

RICHARD, qui a ramassé quelques feuilles.

Tiens, mets-y aussi ces feuilles sèches… allons… souffle… Griffon.

GRIFFON.

Du souffle… je ne sais pas s’il m’en reste… (Il se couche par terre et souffle sur le feu. Les feuilles et le bois s’enflamment.) Si, j’en ai encore, mais je n’ai plus que ça. (Renaud et Richard se sont placés près du feu.)

RENAUD.

Attendons ici le retour de l’aube, puisque ces pèlerins musulmans nous ont assuré qu’on n’ouvrait les portes de Bagdad qu’à la sixième heure du jour.

RICHARD.

Nous sommes bien sûrs maintenant d’atteindre le but de notre voyage ; le chef des pèlerins qui a quitté Bagdad, hier au soir, m’a dit y avoir vu entrer la caravane que nous suivions de loin… elle s’est logée au grand caravansérail, près de la mosquée d’Aly.

RENAUD.

Ainsi, nous reverrons Odette… Avec la cédule de Charlemagne, nous obtiendrons qu’elle nous soit rendue… Et avant que l’année soit écoulée, nous serons en France, nous aurons rendu la liberté à nos frères.

RICHARD.

Ah ! je voudrais déjà me remettre en route.

GRIFFON.

Moi pas… à moins qu’on ne voyage assis.

RENAUD.

Pauvre garçon ! rassure-toi, nous sommes au terme de nos épreuves.

RICHARD.

Peu s’en est fallu que nous ne succombions à la dernière… arrivés sur cette terre d’Orient… quelques heures après Odette, nous n’avons pu qu’à distance, suivre la caravane dont elle faisait partie et qui l’emmenait à Bagdad.

RENAUD.

Nous allions l’atteindre, quand le vent du désert nous a surpris.

GRIFFON.

Un joli petit zéphyr qui dérange les montagnes de place.

RICHARD.

Nos malheureux chevaux avaient péri dans la tempête de sable… Il ne nous restait plus que Griffon pour porter nos bagages.

GRIFFON.

J’en ai laissé.

RENAUD.

Le simoun nous enveloppait, il menaçait de nous ensevelir, quand tu t’es rappelé, frère, le secours miraculeux qu’une fois déjà nous avons dû au talisman que nous a légué notre mère.

RICHARD.

Devant ces flots de poussière enflammée, comme autrefois contre ceux de l’Océan, le courage humain était impuissant à nous sauver ; il fallait bien demander secours à l’anneau protecteur… Je te voyais près de mourir… moi-même j’étais expirant ; alors je me suis écrié : Sauve-nous, ma mère ! En même temps je lançai ma bague vers le ciel, et le tourbillon furieux l’emporta avec mon cri de détresse.

RENAUD.

Et le miracle s’est renouvelé, frère !… Aussitôt le vent cessa de mugir, le sable de nous brûler, et un passage s’ouvrit devant nous, chemin frayé par la main de Dieu même, qui bénissait la pieuse confiance des fils de Clotilde Aymon.

GRIFFON.

Saint Bonaventure y a bien été pour quelque chose.

RICHARD.

Tu crois ?…

GRIFFON.

Si je crois ! oui, j’y crois… C’est toujours à lui que je m’adresse dans les moments difficiles… Et grâce à vous, je lui ai procuré de l’occupation ; il ne doit plus savoir où donner de la tête.

RENAUD.

Ainsi, encore un danger de surmonté, un obstacle de vaincu.

RICHARD.

Dieu fasse que ce soit le dernier, car toi et moi nous n’avons plus d’anneau.

GRIFFON.

Moi j’ai toujours saint Bonaventure.

RENAUD.

Oui, nos talismans sont épuisés ; mais nous sommes dans les états d’Haraoun-al-Raschid, prince magnanime, dit-on ; il doit bien nous accueillir… nous venons lui rendre, au nom de Charlemagne qu’il admire, la visite de ses ambassadeurs.

RICHARD.

Tu as raison, il nous doit une réception magnifique.

RENAUD.

Il nous fera les honneurs d’un tournoi, peut-être !

GRIFFON.

Et de son sérail aussi… Voilà où j’aimerais à me reposer.

RICHARD.

J’espère bien m’asseoir au jeu du calife… Si j’allais lui gagner sa couronne !

RENAUD.

Je l’aurais, cette couronne, que je l’échangerais volontiers contre une gourde d’eau fraîche… Je meurs de soif.

RICHARD.

Les musulmans bâtissent toujours leurs tombes près de quelque source… Cherche, Griffon ; il doit y avoir de ce côté un puits ou une fontaine… Cherche.

GRIFFON.

Il faut me lever ?

RENAUD.

Sans doute.

GRIFFON, se levant.

Je ne sais plus où sont mes jambes. (Il sort.)


Scène VIII.

RENAUD, RICHARD.
RICHARD.

Si c’est comme ambassadeurs que nous nous présentons au calife, l’état de nos habits va donner une pauvre idée de la magnificence de celui qui nous envoie.

RENAUD.

Le terrible accident du désert expliquera notre dénûment… Il suffira, pour preuve de notre mission, de présenter à Haraoun la cédule de Charlemagne… Tu as conservé le précieux parchemin ?

RICHARD.

J’aurais perdu la vie plutôt que de m’en séparer. (Il le tire de son sein.) Le voici.

RENAUD.

En quelques mains que soit tombée Odette, le calife est tout-puissant, il nous la fera rendre dès qu’il aura lu cet écrit.