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épées hors de leur fourreau, des femmes idem… Ah ! où vais-je reposer ma tête !… (Il va s’asseoir au fond et s’endort.)

RICHARD.

Laissons-le dormir… en allant de ce côté, je dois rencontrer mon frère… (Il va vers la droite, Renaud paraît.)

RENAUD.

Ah ! te voilà !

RICHARD.

Je ne sais rien de plus, j’arrive à l’instant…

RENAUD.

Les seuls pêcheurs que j’aie rencontrés débarquaient après trois jours passés en mer, ils n’ont pu me donner aucun renseignement sur celle que nous cherchons…

RICHARD.

Ici s’arrête notre espérance, et cependant le voyage avait bien commencé, j’aurais parié…

RENAUD.

Tu paries toujours…

RICHARD.

Je gagne quelquefois… et le moyen, d’ailleurs, de ne pas croire d’abord aux succès de nos recherches… conduits par Griffon, à l’endroit où il avait vu renverser Odette par les lâches assassins couverts d’habits semblables aux nôtres, n’avons-nous pas trouvé quelques grains du chapelet d’Odette… Ainsi, plus de doute, Griffon ne s’était pas trompé… c’était bien que notre jeune compagne était tombée… mais aucune trace de sang, rien qui pût faire supposer qu’un meurtre avait été commis… Odette nous était ra vie, c’était vrai… mais puisqu’elle vivait nous devions la retrouver…

RENAUD.

Mais de quel côté diriger nos pas ?… aucun indice ne nous montrait le chemin… que Dieu nous conduise !… avons-nous dit alors, et nous avons pris une route au hasard !

RICHARD.

C’était la bonne…

RENAUD.

Oui, car à quelque distance, un mendiant nous aborda en nous priant de lui acheter des grains que nous reconnûmes : ils avaient aussi appartenu à Odette… le ciel nous avait bien inspirés, nous étions sur la trace…

RICHARD.

Et depuis ce moment, nous ne la perdîmes plus… peu à peu et de distance en distance, nous avons retrouvé tous les grains de ce chapelet qu’Odette semble avoir semés sur son chemin, pour guider ses libérateurs… nous sommes arrivés ainsi jusqu’à l’embranchement de deux routes qui conduisent également à Aigues-Mortes…

RENAUD.

Mais là, plus de traces, plus d’indice, plus d’espoir !

RICHARD.

Et devant nous, l’immensité de la mer, qui ne garde rien du sillon creusé par le passage de l’homme !

RENAUD.

Et pourtant nos frères sont condamnés si nous laissons passer le terme fatal !…

RICHARD.

Notre honneur est perdu si nous ne ramenons pas Odette à son père !… (Depuis un moment, une épaisse fumée s’échappe de la maison, puis la flamme jaillit.)


Scène V.

Les Mêmes, MAGUELONNE.
MAGUELONNE, sortant de la maison.

Au secours ! le feu ! le feu !

GRIFFON, se réveillant en sursaut.

Qu’est-ce qui brûle ?

RICHARD.

Cette maison est à vous, brave femme ?

MAGUELONNE.

Et dans cette maison… là-haut, dans cette chambre, est mon enfant qui va périr !… mon enfant que je n’ai pu sauver, car l’escalier est en flammes !… Oh ! messeigneurs ! sauvez, sauvez mon fils, ou j’irai mourir avec lui !…

RENAUD.

Nous vous le rendrons, pauvre mère ! (Il s’élance.)

RICHARD.

Oui, nous vous le rendrons !

GRIFFON.

Où allez-vous, messire ?

RICHARD, gaîment.

C’est une partie comme une autre et j’ai du bonheur au jeu !

(Il s’élance à la suite de Renaud. — L’incendie est devenu plus violent, des pêcheurs sont accourus, ils vont pénétrer dans la maison, mais un pan de muraille s’écroule, ils reculent. Maguelonne est tombée à genoux. L’ouverture que le feu vient de faire à la maison permet de voir à l’intérieur Richard et Renaud qui s’entr’aident pour descendre du premier étage un jeune enfant qu’ils apportent bientôt à sa mère, ivre d’admiration et de bonheur.)

RICHARD, sautant à terre, au moment où le toit s’écroule.

Sainte Vierge il était temps !

RENAUD.

Nous avions promis de vous rendre votre enfant ; avec l’aide de Dieu, nous vous avons tenu parole !

MAGUELONNE.

Pourquoi ne puis-je vous prouver ma reconnaissance que par mes bénédictions et mes larmes !… mais Maguelonne est si pauvre !… (Comme frappée d’un souvenir.) Ah ! (Elle détache de son cou une petite croix et la présente aux deux frères.) Tenez… tenez ! prenez cette croix, elle vous portera bonheur !

RICHARD.

Cette croix, je la reconnais !

RENAUD.

C’est celle du chapelet d’Odette !

RICHARD.

Comment est-elle entre vos mains ?

MAGUELONNE.

Elle m’a été donnée…

RENAUD.

Par qui ?

MAGUELONNE.

Par une jeune fille.

RICHARD.

Quand ?

MAGUELONNE.

Cette nuit, ici, chez moi…

RENAUD.

Mais cette jeune fille ?…

MAGUELONNE.

Vient de s’embarquer sur un navire que montaient des infidèles… les envoyés du calife de Bagdad…

RICHARD.

Oh ! c’est elle ! c’est Odette… mais ce navire ?… (En ce moment, la brume se dissipe et les premiers rayons du soleil dorent à l’horizon les voiles de la galère qui emmène Odette.)

MAGUELONNE, montrant le navire.

Le voilà…

RENAUD.

Une barque pour Dieu ! une barque ! tout ce que nous possédons pour une barque !

MAGUELONNE.

Vous aurez la meilleure marcheuse du port d’Aigues-Mortes, vous qui m’avez rendu mon enfant ! (Aux pêcheurs.) N’est-ce pas, vous autres ?

LES PÊCHEURS.

Oui, oui, une barque à la mer !

GRIFFON.

Ah ! bon ! il ne manquait plus que la mer… moi qui suis malade sur une marre…

RENAUD.

Nous suivrons Odette, nous l’atteindrons !

RICHARD.

Oui ! fût-elle au bout du monde ! (Une barque a été amenée par les pêcheurs, Renaud, Richard et Griffon s’y placent. Tous les pêcheurs les saluent, Maguelonne à genoux semble prier pour les voyageurs.)

Le théâtre change et représente un site sauvage. À droite, une tombe musulmane, dite marabout.

Scène VI.

ZAOR, QUATRE MUSULMANS.
ZAOR, aux Musulmans ; ils arrivent par la droite.

Je vous l’atteste, amis, je l’ai vu sortir de Bagdad, il faut absolument qu’il passe près de la grotte du prophète… nous y serons… une fois maîtres de lui, nous le traînerons ici… devant