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ROLAND.

Il tenait à une chaîne qu’on a brisée pour s’emparer de ce précieux indice.

RAOUL.

Mais cette autre moitié de la chaîne, tombée dans la lutte, n’a pas été perdue !

RICHARD, présentant à Charlemagne un fragment de chaîne.

La voici… rapprochez la brisure, sire, et comparez les anneaux.

CHARLEMAGNE.

En effet… entre ces deux accusations de mensonge, comment savoir où est la vérité ?…

RENAUD.

Il faut en croire ceux qui ont affronté les périls pour venir vous la dire. Ceux qui, échappés d’un piége infernal, braveraient mille fois la mort pour retrouver la noble fille confiée à leur amitié fraternelle, à leur honneur.

ROLAND.

Nous venions à Paris, vous demander justice, quand de toutes parts nous avons entendu dire que la fille de Charlemagne allait être présentée à son père.

RAOUL.

Alors, croyant que celle que nous devions protéger avait aussi échappé à la trahison qui nous poursuit, nous avons redoublé de vitesse pour rejoindre notre sœur d’adoption.

RICHARD.

C’est seulement en arrivant au palais, en pénétrant dans cette salle, que nous avons acquis la certitude qu’on vous trompait… Cette femme n’est pas de votre sang… c’est la complice de cet homme… de cet homme qui, je le répète, a menti.

CHARLEMAGNE.

N’avez-vous donc pas une parole pour vous défendre, Maugis ?

RENAUD.

Maugis, l’ennemi de notre père. Je demande contre lui le jugement de Dieu !

MAUGIS.

Je l’accepte avec joie… Ordonnez le champ clos… c’est là que je me défendrai.

CHARLEMAGNE.

C’est une preuve que je veux, et non pas un combat… (Aux fils Aymon.) Où est celle que vous prétendez être ma fille ?

RICHARD.

Nous vous l’amenions… on nous en a séparés… on nous l’a prise.

CHARLEMAGNE.

Et vous n’espérez plus la retrouver, sans doute ?

RENAUD.

Si fait ! nous la retrouverons, si elle existe encore, dussions-nous pour cela aller au bout du monde !

CHARLEMAGNE.

Quel terme fixez-vous à vos recherches ?

RICHARD.

Il ne nous faut qu’un jour, si le ciel nous protége… S’il veut nous éprouver, nous demandons un an.

CHARLEMAGNE.

Et quel gage me laisserez-vous de votre retour, si je vous accorde le délai d’un an pour tenir cette promesse ?

MAUGIS.

Si j’étais convaincu de mensonge… Charlemagne me demanderait ma vie, en réparation du crime dont on m’accuse… C’est la vie de mes calomniateurs qu’il me faudra, s’ils ne peuvent justifier leur imposture… Au nom de la justice, qui doit venger mon honneur, je réclame des otages.

CHARLEMAGNE.

C’est ton droit… et mon devoir est de te les accorder… J’ordonne donc que deux des accusateurs de Maugis seront gardés étroitement et à vue, jusqu’au retour de leurs deux frères… Et pour que ces derniers trouvent partout aide et protection… écrivez, Alcuin, que c’est en mon nom qu’ils remplissent leur mission… Afin que nul n’en doute, je scellerai la cédule du pommeau de mon épée. (Alcuin, qui porte au côté l’encrier et la plume, écrit la cédule sur un bouclier, tenu par deux hommes d’armes.)

MAUGIS, à part.

Ils ne m’échapperont pas tous du moins.

CHARLEMAGNE, aux fils Aymon.

Songez que les deux frères qui vont rester répondront de la parole des autres. Si dans un an, à pareil jour, ceux qui seront désignés pour partir ne sont pas revenus, soit pour me ramener celle qu’ils disent être ma fille, soit pour reconnaître qu’ils ont menti et calomnié, alors les otages seront livrés à Maugis… Qui de vous veut répondre pour ses deux frères ?

LES QUATRE FILS AYMON.

Choisissez !

CHARLEMAGNE, désignant Raoul et Roland.

Toi… et toi… vous êtes mes otages.

RAOUL.

Vous avez en vos mains la vie de Raoul.

ROLAND.

Et celle de Roland ! (Alcuin, qui a fini d’écrire, présente le parchemin à Charlemagne. Les deux soldats s’agenouillent en présentant le bouclier, sur lequel est la cédule. Charlemagne la scelle avec le pommeau de son épée.)

CHARLEMAGNE.

Pendant l’année qui va s’écouler, celle que j’ai nommée aujourd’hui ma fille sera conduite dans un couvent, pour y attendre le jour de la justice.

EDWIGE, bas à Maugis.

Hélas !

MAUGIS, bas.

Après l’épreuve, la couronne !

CHARLEMAGNE, donnant la cédule à Renaud.

Partez maintenant, et si vous avez dit vrai… ne revenez pas sans ma fille !

LES QUATRE FILS AYMON, se tendant la main.

Mon frère !

RAOUL.

Dans un an !

ROLAND.

À pareil jour.

RICHARD.

Nous viendrons dégager notre parole.

RENAUD.

L’imposture sera punie.

RICHARD.

Ou nous serons morts ! (Ils s’embrassent.)

Tableau. — Le rideau baisse ; puis se relève bientôt sur un décor qui représente le port d’Aigues-Mortes. Du deuxième au troisième plan à gauche, une maison de pêcheur assez élevée ; çà et là, des rochers ; au fond, la mer. Il fait nuit encore, une brume épaisse voile l’horizon.


Scène III.

BERTHOLD, ÉVRARD.
Berthold est en scène, il semble veiller à ce qui se passe en mer. — Bientôt arrive Évrard.
BERTHOLD.

Eh bien ?…

ÉVRARD.

Elle est embarquée et la galère va mettre à la voile. Les envoyés du calife, qui retournent à Bagdad, m’ont royalement payé la belle captive que nous leur avons livrée.

BERTHOLD.

Nous ne jouirions pas longtemps de notre fortune, si le seigneur Maugis venait à découvrir que nous avons laissé vivre celle qu’il avait condamnée.

ÉVRARD.

Comment le saura-t-il jamais ? Elle n’a passé qu’une nuit dans une maison habitée, celle-ci.

BERTHOLD.

La pauvre veuve qui occupe cette masure avec son enfant, paraissait prendre intérêt à la captive…

ÉVRARD.

Nous pouvons partir sans crainte… si quelque indice y est resté, j’ai pris mes précautions, on ne l’y trouvera pas ! (Berthold et Évrard sortent par la droite.)


Scène IV.

RICHARD, GRIFFON, entrant par le premier plan gauche, un peu après RENAUD, venant par la droite.
RICHARD, à Griffon qui paraît accablé de sommeil.

Arrive donc, détestable marcheur… tu dors debout !

GRIFFON.

C’est vrai ; mais je ne vous cache pas que j’aimerais mieux dormir assis… pour couché je n’en parle pas, j’en ai perdu l’habitude, depuis que j’ai quitté cet infernal château où j’ai très-bien soupé, mais affreusement dormi… j’avais le cauchemar, je voyais danser devant moi des piles d’or, des bouteilles pleines, des