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leurs manteaux enveloppent une partie de leur visage ; il fait d’ailleurs à peine jour. Odette se place au milieu d’eux, et ils sortent tous les cinq ; mais en marchant, la jeune fille les regarde avec une sorte d’inquiétude.)

Un rideau de nuages s’élève au premier plan. — On voit, dans le vague de la brume, les quatre fils Aymon entraînés par les quatre Démons auxquels ils obéissent involontairement. Bientôt le rideau de vapeurs se dissipe ; le théâtre change et représente l’immensité de la mer. Les flots envahissent le théâtre jusqu’à l’avant-scène ; quatre rochers battus de toutes parts par les vagues, rongés dans leur partie inférieure et terminés en pointe, se font face obliquement deux à deux comme des caps qui se menacent et tendent à se réunir. — La mer est houleuse, la nuit obscure.

Scène XXII.

LES QUATRE DÉMONS, LES QUATRE FILS AYMON.
(On voit, sur chacun des rochers, paraître l’un des quatre Démons, attirant l’un des frères qui suit son guide involontairement et comme soumis à une puissance surhumaine.)
LE DÉMON DE LA GUERRE, sur le premier rocher à droite.

Viens, Renaud !

LE DÉMON DU JEU, sur le premier rocher à gauche.

Suis-moi, Richard !

LE DÉMON DE L’IVRESSE, sur le deuxième rocher à gauche.

Par ici, Raoul !

LE DÉMON DE L’AMOUR, sur le deuxième rocher à droite.

Courage, Roland ! Pour eux maintenant le réveil et la mort.

(Quand les Démons sont arrivés à l’extrémité des quatre rochers, ils poussent un éclat de rire et disparaissent tout à coup.)
RENAUD, parvenu à l’extrémité et reculant devant les flots.

C’est un rêve !

RICHARD, de même.

Où suis-je donc ?

RAOUL, de même.

L’abîme est devant moi…

ROLAND, de même.

Il va m’engloutir !

RENAUD.

Où nous a-t-on conduits ?

RICHARD.

À la mort !

TOUS LES QUATRE.

Oui… à la mort !

RENAUD.

Mon Dieu, si nous devons mourir ici, qu’une dernière fois… encore, je puisse embrasser mes frères.

RICHARD.

L’abîme nous sépare.

RAOUL.

Le flot monte !

ROLAND.

Il va nous entraîner !

RENAUD.

Ma mère, ma mère, priez pour nous ! (Chacun son épée à la main, la tend vers le rocher qui lui fait face. — Alors comme si l’arme qu’ils tiennent tendue avait la puissance attractive de l’aimant, on voit peu à peu les quatre rochers se mouvoir et marcher l’un vers l’autre. Leurs pointes finissent par se réunir, elles ne forment plus qu’un seul roc, au sommet duquel les quatre frères se tiennent embrassés. La marée continue à monter.)

RICHARD.

La marée monte toujours !

RAOUL.

Nous sommes perdus, frères !

RENAUD.

Tout courage humain serait impuissant ici ! Que l’anneau de notre mère nous sauve ! (Il jette sa bague.)

(Tout à coup la mer devient plus calme, la lune brille au ciel, et le rocher en se développant représente un navire qui vogue emmenant les quatre fils Aymon.)
TOUS QUATRE.

Merci, ma mère, merci !



ACTE III.


Le théâtre représente une galerie du palais de Charlemagne.


Scène I.

MAUGIS, LE COMTE BAUDOUIN, EDWIGE, Pages, Dames, Chevaliers, Gardes et Peuple, puis LE MAIRE DU PALAIS, CHARLEMAGNE, L’ABBÉ ALCUIN, Les Grands Vassaux de la Couronne.
(Des gardes arrivent, ils font ranger et maintiennent le peuple, qui précède le cortège. Ensuite Edwige paraît accompagnée du comte Baudouin et de Maugis, précédée par des Pages et suivie de ses Dames. Quand le cortège est entré, des Pages du roi et le Maire du Palais arrivent par la droite.)
LE MAIRE DU PALAIS.

Le roi !

EDWIGE, bas à Maugis.

Charlemagne !… Oserai-je soutenir ses regards ?

MAUGIS.

Courage, Edwige, nous n’avons plus à craindre un seul de nos ennemis ; notre secret est avec eux dans la tombe. (Charlemagne en costume royal paraît entouré de ses grands vassaux et suivi de l’abbé Alcuin.)

CHARLEMAGNE.

Soyez les bien-venus, vous qui me ramenez celle que mon cœur attendait.

EDWIGE, se prosternant.

Sire !

CHARLEMAGNE, la relevant.

L’enfant de Théodora !… celle que j’ai tant regrettée !… je la retrouve enfin !…

MAUGIS.

Oui, seigneur, voilà votre fille.

UNE VOIX, au fond.

Cet homme a menti ! (Mouvement de surprise.)

UNE AUTRE VOIX, à droite.

Il a menti !

UNE AUTRE VOIX, à gauche.

Il a menti !

UNE QUATRIÈME VOIX, au fond.

Il a menti !

MAUGIS.

Qui ose dire cela ?

LES QUATRE FILS AYMON, sortant de la foule et s’avançant la main étendue.

Moi !


Scène II.

Les Mêmes, RENAUD, RICHARD, RAOUL, ROLAND.
MAUGIS, à part.

Eux ?… vivants !…

EDWIGE, de même.

Nous sommes perdus !

CHARLEMAGNE.

Qui êtes-vous ?

RICHARD.

Quatre frères, unis par le cœur comme par le sang.

RAOUL.

Soutiens de la faiblesse, appuis de l’innocence.

ROLAND.

Ennemis du mensonge et de la déloyauté.

RENAUD.

Enfin, nous sommes les quatre fils Aymon !

CHARLEMAGNE.

Aymon !… Votre père, je m’en souviens, était l’honneur de la chevalerie… si les paroles que vous avez proférées étaient tombées de ses lèvres, je l’aurais cru sans preuves… mais avec vous, jeunes gens, il n’en est pas ainsi, et quand vous venez briser dans mon cœur la joie paternelle qui le remplissait, j’ai le droit de douter.

MAUGIS.

Douter de leur mensonge… vous ne le pouvez pas devant une preuve irrécusable… celle qui est rendue à votre tendresse ne porte-t-elle pas le scapulaire qui pouvait seul la faire reconnaître ?

EDWIGE, détachant le scapulaire et le présentant à Charlemagne.

Le voici… il renferme encore la lettre de Théodora… ma mère.

RENAUD.

Ce scapulaire a été volé !