Page:Anicet, Masson - Les Quatre Fils Aymon, 1849.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LE DÉMON DE LA GUERRE, approchant à son tour.

À la bonne heure… je disais aussi l’écuyer de quatre héros doit être infatigable.

GRIFFON, subissant l’autre effet.

Oui, mes maîtres sont des braves, mais il ne faudrait pas non plus m’échauffer les oreilles… Oh ! je voudrais qu’on me cherchât querelle… qu’on me marchât sur quelque chose !

LE DÉMON DE L’AMOUR, passant près de lui.

On s’en garderait bien, mon valeureux champion ; d’ailleurs… ce n’est ni le lieu, ni le moment d’une lutte.

GRIFFON, autrement influencé.

La nuit, on ne se bat pas d’ordinaire… la nuit on est toujours d’accord ! (Avec passion.) Au fait… il doit y avoir de jolies femmes ici !

LE DÉMON DU JEU, passant auprès de Griffon.

Tu crois ?

GRIFFON, changeant de ton.

Je parie n’importe quoi !… à quoi joue-t-on ?…

LES QUATRE DÉMONS, le touchant en même temps.

À tout ce que tu voudras.

GRIFFON, recevant à la fois les quatre secousses.

Hein !… oh !… bah !… tiens, tiens !…

LES QUATRE DÉMONS.

Nous sommes prêts.

GRIFFON.

Nous verrons ça plus tard… voici mes maîtres avec la jeune princesse.

LE DÉMON DE L’IVRESSE.

Au revoir, joyeux compagnon.

LE DÉMON DE LA GUERRE.

Bouillant écuyer !

LE DÉMON DU JEU.

Superbe adversaire !

LE DÉMON DE L’AMOUR.

Adorable Griffon.

GRIFFON.

Au revoir, mes gentils pages !

LES QUATRE DÉMONS.

Nous nous retrouverons.

GRIFFON.

Je l’espère bien… (À lui-même,) Décidément, ils sont très-aimables. (Les pages sortent à droite ; Odette, Renaud, Richard, Raoul et Roland entrent par la gauche.)


Scène XII.

ODETTE, RENAUD, RICHARD, RAOUL, ROLAND, GRIFFON.
RICHARD.

Voilà, sur ma foi, un château étrangement gardé.

RENAUD.

Toutes les portes ouvertes, et pas une figure humaine à qui parler.

RAOUL.

C’est un désert… Nous souperons mal.

ROLAND.

Et notre sœur Odette n’aura pas un chevet où reposer sa tête.

GRIFFON.

Vous vous trompez, messeigneurs… j’ai vu les pages de la maison, des petits jeunes gens avenants au possible… Voici la chambre pour mam’selle la princesse Odette !… Quant au souper, je n’ai, je crois, qu’à le commander… Je vais chercher la cuisine.

RENAUD.

Demande une pièce de venaison.

GRIFFON.

Bon… une hure de sanglier.

RICHARD.

Un oiseau de haute volière.

GRIFFON.

Très-bien… un paon rôti.

ROLAND.

Quelque chose de piquant et de sucré.

GRIFFON.

Parfait… tartelette anisée au citron.

RAOUL.

Et surtout du vin.

GRIFFON.

Suresnes, côte d’en bas, c’est le meilleur cru. (Il sort.)


Scène XIII.

Les Mêmes, excepté GRIFFON.
RENAUD.

En vérité, Odette, nous manquons aux lois de la galanterie. Roland aurait dû nous le rappeler.

ODETTE.

Mais en quoi donc, mes frères ?

RICHARD.

Renaud a raison… Nous commandons le souper sans vous avoir consultée… Nous le pardonnerez-vous ?

ODETTE, souriant.

Non, car je suis très-mécontente.

RAOUL.

En vérité ?

ODETTE.

Ce n’est pas ici que j’aurais voulu m’arrêter.

RENAUD.

Mais où donc ?

ODETTE.

À Paris !

RICHARD.

Vous n’y pensez pas !… Nous avons encore pour trois grands jours de marche.

ODETTE.

Oh ! J’aurais marché !

RENAUD.

Au fait, c’est possible, car délicate et mignonne comme vous êtes, vous avez entrepris ce voyage et vous le poursuivez avec une énergie qui tient du miracle… Au besoin, c’est vous qui nous donneriez du courage.

ODETTE, gaiement.

Pourquoi pas… La force qui vient du cœur s’épuise moins que les autres.

ROLAND.

C’est aussi le cœur qui nous mène, Odette.

ODETTE.

Oh ! je le sais… mais pas assez vite.

RENAUD.

Vous désirez voir s’accomplir vos rêves d’ambition ?

ODETTE.

Non, mais se réaliser une espérance d’amour.

ROLAND.

Vous pensez donc encore à ce pauvre Amaury ?

ODETTE, avec franchise.

Toujours… Quand il nous a quittés pour retourner au cloître de Saint-Julien, il m’a dit tristement adieu, et moi j’ai répondu en souriant au revoir !… Savez-vous pourquoi j’étais presque gaie au moment de notre séparation ?… C’est que je me suis rappelé alors la légende de la jeune fille dont les larmes se changeaient en perles… La pauvre mignonne racheta son ami d’esclavage… Amaury est esclave aussi… Mais pour le sauver, je n’aurais pas besoin de pleurer, moi… Le roi Charlemagne est tout-puissant, et le roi Charlemagne est mon père !… Vous voyez bien qu’il faut que nous arrivions vite à Paris.

RICHARD.

Qui, avant que ceux qui ont enlevé le scapulaire à notre ami aient eu le temps de rien entreprendre contre vous.

RENAUD.

Mais pour que le voyage de la journée soit meilleur, il faut se résigner au repos de la nuit.

ODETTE, avec une soumission enjouée.

C’est bien, mes frères… on se résigne ; mais je ne vous promets pas de dormir… Je rêverais peut-être que je suis arrivée, et j’aurais trop de regrets au réveil… Ma chambre est par là, m’a-t-on dit ?

ROLAND.

Avant de vous y laisser seule, nous voulons savoir si elle n’a point d’autre issue.

RENAUD.

Et rassurés sur ce point, c’est devant cette porte que nous passerons la nuit.

RICHARD.

Au point du jour nous vous avertirons du départ.