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l’ermitage, on éteignait les derniers cierges… maintenant la chapelle est fermée et la route est déserte.

RICHARD.

D’ailleurs, Odette, nous avons à vous parler.

MAUGIS.

Je veux savoir… (Haut.) Voici la brune qui tombe, il me faudrait aller loin pour trouver un abri… me permettez-vous de faire ici mon repas du soir ?

ODETTE.

Volontiers, pauvre vieillard… tenez, placez-vous là !… voici du pain de blé noir… et la cruche d’hydromel… buvez… mangez… (Elle le fait asseoir dans un coin et lui donne du pain, une cruche et un gobelet.)

ROLAND, la suivant du regard en parlant à ses frères.

Des yeux divins !… la voix d’un ange !… une taille de reine !

RAOUL.

Et un bon cœur… elle donne à boire !

RICHARD.

Ah ! s’il ne fallait que la gagner au jeu !

RENAUD.

Ou la conquérir par l’épée ! Mais c’est folie de penser à nous la disputer ; rappelons-nous le vœu de notre mère… Odette nous appartient à tous quatre, mais seulement à titre de sœur.

ODETTE, aux quatre frères.

C’est au nom de la comtesse que vous voulez me parler ; messeigneurs… ses volontés sont ma loi ! j’attends avec respect ce que vous avez à me dire !

RICHARD.

Odette, une autre existence va commencer pour vous !

ODETTE.

Pour moi ?

RENAUD.

Oui, à notre âge la vie active est un devoir ; nous ne pouvons toujours habiter le val des Roses, et tel est l’ordre de notre mère, partout où nous serons, vous devez être avec nous.

ODETTE.

Moi, vous suivre… messires… et comment, à quel titre ?

ROLAND.

À titre d’amis.

RAOUL.

Mieux que cela, à titre de frères.

ODETTE.

Pardonnez-moi le trouble et l’inquiétude qui m’agitent, je Vous sais nobles, messeigneurs, et c’est bien glorieux à moi… d’être nommée votre sœur… mais pauvre et timide fillette, qui jusqu’à présent ai vécu dans cette campagne isolée… je ne puis pas me faire tout de suite à l’idée de vous avoir pour confidents de mes pensées… pour compagnons de mon existence… oh ! ne vous en tâchez pas, j’ai foi en votre honneur… ce n’est pas la peur qui me tient, c’est l’étonnement qui m’a saisie.

RICHARD.

Si pour vous, Odette, c’est chose étrange que cette vie en commun avec quatre cavaliers courant les aventures, pour nous c’est chose nouvelle que la garde d’une jeune fille… mais votre confiance et notre bonne volonté aidant… nous accomplirons sans dommage notre pieuse mission.

ODETTE.

Et cette mission ?

RENAUD.

C’est de ne vous rendre qu’à Dieu… à un époux ou à votre père…

ODETTE.

Mon père, je ne le connaîtrai jamais.

RAOUL.

Voulez-vous être à Dieu ?

ODETTE.

Je crois que le couvent me fait peur !

ROLAND.

Alors c’est donc un mari que vous voudriez ?

ODETTE, baissant les yeux.

Peut-être…

RICHARD.

Ah ! vous doutez.

ODETTE, franchement.

Non, j’en suis sûre…

RICHARD.

Dans ce cas, mon enfant, il y a ici pour vous un époux trois frères, désignez-vous-même le mari.

ODETTE.

Mon choix est fait… je reste votre sœur… à tous les quatre…

RAOUL.

Ainsi, ni l’un ni l’autre.

ODETTE.

J’aime.

RENAUD.

Qui cela ?

ODETTE.

Je l’ignore !

RICHARD.

Comment !

ODETTE.

Celui dont je suis la promise est un être mystérieux qui m’apparaît la nuit… Appartient-il au ciel ou à la terre… voilà le secret que je voulais aller demander à sainte Rosalie…

RENAUD.

Mais c’est un misérable séducteur qui mérite notre colère.

RICHARD.

Nous vous vengerons, Odette.

ODETTE.

Oh ! ne lui en veuillez pas… rien n’est plus pur que son amour, je le jure par mon scapulaire que l’autre soir je lui ai donné.

MAUGIS, qui a écouté, à part.

Le scapulaire est en d’autres mains… ma science me dira maintenant à qui je dois le reprendre. (Il sort furtivement.)


Scène V.

Les Mêmes, excepté MAUGIS.
RENAUD.

Mais enfin… cet être mystérieux… cet amant inconnu qui vient du paradis… ou de l’enfer… où vous apparaît-il ?…

ODETTE.

Dans la petite grange que j’habite, et seulement quand la nuit est bien tombée… S’il doit venir, la lueur d’un feu follet que j’aperçois poindre dans la campagne, m’annonce sa visite ; alors j’éteins ma lumière, et bientôt il est près de moi… je l’entends… car je ne connais que sa voix, mais elle est si douce, si persuasive, qu’auprès de lui, moi, toujours si craintive, eh bien, je n’ai pas peur… c’est lui qui tremble au contraire… et par timidité, sans doute, il m’a fait promettre de ne jamais lui demander d’où il vient, surtout de ne point chercher à connaître son visage.

RICHARD.

Voilà, ma foi, un soupirant de singulière espèce… (À demi-voix.) Ce garçon-là doit être très-laid… (Haut.) Et pensez-vous qu’il revienne bientôt ?

ODETTE.

Je ne l’attends jamais… je l’espère toujours.

RENAUD.

Mais si nous vous emmenons, Odette, vous serez séparés.

ODETTE.

Non, car il saura bien me retrouver partout !

ROLAND.

Mais qu’attendez-vous de cet amour ?

ODETTE.

Rien que le bonheur d’entendre mon inconnu, puisque je ne dois pas le voir.


Scène VI.

Les Mêmes, GRIFFON, puis LANDRY.
GRIFFON, arrivant.

Je disais bien, elle doit être ici !

RICHARD.

Et d’où viens-tu ?

GRIFFON.

De chercher dans tous les champs de roses, pour mieux mettre la main sur m’amzelle Odette !

ODETTE.

Mais c’est moi… qui suis Odette… nous nous sommes rencontrés sur la route.

GRIFFON.

Je sais bien… je me disais ça doit être elle, mais je pouvais me tromper aussi… et dans le doute… j’ai toujours cherché. (À Landry.) Voilà mes maîtres, manant.

LANDRY, entrant.

Vous, mes jeunes seigneurs, chez moi…