Page:Angot - Louis Bouilhet, 1885.djvu/85

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
81
SA VIE — SES ŒUVRES

Tu connaîtras aussi, ployé sous l’anathème,
La désaffection des peuples et des rois,
Si pauvre et si perdu, que tu n’auras plus même,
Pour t’y coucher en paix, la largeur de ta croix !

Ton dernier temple, ô Christ, est froid comme une tombe ;
Ta porte n’ouvre plus sur le vaste Avenir ;
Voilà que le jour baisse et qu’on entend venir
Le vieux prêtre courbé, qui porte une colombe !

Erreur ! peut-on dire. — Mais il n’est pas possible, il faut l’avouer, de trouver l’erreur exprimée dans un plus magnifique langage.

L’abbaye renferme la même idée, la fin de la religion du Christ dans la suite des âges ; mais cette idée y est développée avec beaucoup moins d’élévation et de grandeur. À certain moment, le poëte nous conduit dans une église abbatiale, au Moyen-Âge. Le vaste temple s’illumine de mille feux, l’encens fume, et l’orgue fait succéder aux hymnes sacrées les éclats de sa voix puissante. Voici l’abbé et ses moines, l’abbé la mitre en tête, la crosse à la main ; là-bas se tiennent laboureurs et manants sujets à la dîme, gardes-chasses à l’étroit hoqueton, bergers au vêtement en peau de bique, archers soumis à la parole du prêtre. Une foi naïve anime ce pauvre peuple et le console de ses misères. Que l’on compare ce tableau et l’esprit qui l’anime à cette autre évocation que fait du Moyen-Âge le poëte dans les Fossiles, et l’on accordera que Bouilhet est resté quelque peu inférieur à lui-même. L’intérêt y est moindre que dans la colombe, le style est moins souple, la composition plus artificielle, et l’on y sent l’effet cherché d’un contraste entre la durée passagère, selon le poëte, de la plus consolante des religions et la jeunesse perpétuelle de la nature.

… Vent des monts aux bruyantes ailes,
Voisin des astres radieux,
Pousse, au fond des noires chapelles,
Ton air libre où meurent les dieux !