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LOUIS BOUILHET

la parole du Christ, un empereur, un sage voulut relever de ses ruines la foi de ses ancêtres,

… Un seul homme, debout contre la destinée,
Osa, dans leur détresse, avoir pitié des dieux…

Un soir qu’il revenait d’une expédition lointaine, il aperçut dans la brume, isolé, un temple en ruines.

Le seuil croulait ; la pluie avait rongé la porte ;
Toute la lune entrait par les toits crevassés.
Au milieu de la route il quitta son escorte
Et s’avança, pensif, au long des murs glacés.

Les colonnes de marbres à ses pieds, abattues.
Jonchaient de toutes parts les pavés précieux ;
L’herbe haute montait au ventre des statues.
Des cigognes rêvaient sur l’épaule des dieux…

Il voit dans les profondeurs du temple apparaître une lueur tremblante qui semblait se rapprocher avec un bruit de pas sur les dalles. Voici un grand vieillard courbé, maigre, en haillons, une tiare sur le front, une lampe à la main.

Il cachait sous sa robe une blanche colombe[1].
Dernier prêtre des dieux, il apportait encor
Sur le dernier autel la dernière hécatombe…
Et l’empereur pleura — car son rêve était mort.

Il pleura, jusqu’au jour, sous cette voûte noire.
Tu souriais, ô Christ, dans ton paradis bleu,
Tes chérubins chantaient sur des harpes d’ivoire,
Tes anges secouaient leurs six ailes de feu…

… Tu régnais sans partage, au ciel et sur la terre ;
Ta croix couvrait le monde et montait au milieu ;
Tout, devant ton regard tremblait, — jusqu’à ta mère,
Pâle éternellement d’avoir porté son Dieu.

Mais tu ne savais pas le mot des destinées,
Ô toi qui triomphais, près de l’Olympe mort ;
Vois : c’est le même gouffre… avant deux mille années,
Ton ciel y descendra, — sans le combler encor !

  1. La légende dit que c’était une oie.