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LOUIS BOUILHET

fleurs bleues, voici le mandarin aux vêtements bigarrés, aux souliers en croissant brodés d’or, aux potiches pleines de magots, de buissons bleus et de pivoines fleuries dans des paysages étranges. Horreur ! le poëte invoque le dieu Pu[1], le protecteur des porcelaines, comme un vrai Chinois, et ne recule point devant le rasoir de Hao, le barbier de Pékin[2], au nez camard, aux yeux troussés, trottant avec son sarrau blanc et ses souliers jaunes parmi la foule des vieux bonzes et des marchands dont les mèches, au bruit de son bassin de métal, se soulèvent comme des serpents au son des cymbales. Le poëte est digne d’être nommé mandarin avec quatre rubis à sa ceinture et un bouton d’or à son bonnet. Il laissera pousser ses ongles. Calme et sceptique, sans amour, sans haine et sans dieu, il verra tranquillement tomber la neige des hivers rigoureux moëlleusement blotti au fond d’un cabinet de soie, devant les flammes d’un foyer qui crépite. Pi-pi ! Po-po ! Pendant que l’horloge fait ko-tang ! ko-tang ![3]. Pour charmer ses loisirs, il songera poétiquement à la fleur Ing-wha de Ching-tu-fu et à l’oiseau Tung-whang-fung[4], à l’héritier de Yang-ti[5], et attendra patiemment le printemps et ses parfums que rend encore plus pénétrants la pluie venue du mont Ki-chan[6].

La Fantaisie pousse encore le poëte vers l’Orient. Quel tableau ! Voici le désert avec ses collines sablonneuses ! Voici, avec ses crocodiles gris, le Nil plat et brillant comme un miroir d’acier qui couvre la campagne. De place en place émergent quelques cahutes de terre qui indiquent un village, et une chaussée endiguée

  1. Le dieu de la porcelaine.
  2. Le barbier de Pékin.
  3. La paix des neiges.
  4. Le Tung-Whang-Fung.
  5. L’héritier de Yang-ti.
  6. La pluie venue du mont Ki-Chan.