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SA VIE — SES ŒUVRES

explosion de sentiment. Il n’a pas de ces coups d’ailes frémissants qui annoncent un puissant génie lyrique, de ces cris puissants qui font vibrer toute âme humaine. Son œuvre appartient à un genre moyen qu’il est difficile de classer ; tout y est comme détaché et en fragments ; l’esprit d’entreprise et l’ambition y font un peu défaut. Le rhythme, le dessin et la couleur y sont habilement employés, mais le sentiment et l’émotion, quand ils existent, manquent trop souvent d’ampleur.

Comme Théophile Gautier, notre poëte sacrifie à la plastique ; il cherche le relief et le pittoresque à ses heures. Ses pièces sont alors finement ciselées, et leurs strophes taillées à facettes ressemblent aux cristaux sortis de la main d’un merveilleux artiste. L’auteur d’Émaux et Camées ne dédaignerait pas de leur faire une place honnête dans ses écrins. La poésie de Bouilhet est ainsi quelquefois, pour parler comme Lamartine, un jeu de l’esprit, un caprice mélodieux de la pensée, mais c’est toujours de la poésie[1].

Si le talent lyrique de notre poëte ne relève quelquefois ni de la méditation, ni de l’émotion la plus profonde, mais plutôt de la fantaisie et du caprice, si les idées et les sentiments personnels de l’auteur ne viennent souvent chez lui qu’en seconde ligne, plus souvent aussi sa poésie jaillit spontanée, et n’est pas un pur effort d’une imagination brillante et cultivée. Les spectacles de la nature renaissant plus belle et plus riante, les misères humaines, l’activité de l’Homme et son industrie, ses croyances et ses doutes sont pour lui des thèmes

  1. Le vers harmonieux de Bouilhet a tenté quelquefois l’inspiration des musiciens. Citons le plus distingué d’entre eux, M. Ernest Reyer. Georges Bizet et M. Ch.-L. Hess ont illustré d’une mélodie délicate, le premier, la Chanson d’avril, et le second, la Chanson d’amour. — Il y a au 2e acte de Dolorès une délicieuse sérénade qui a été insérée dans les « Dernières Chansons ». Si ce que Gustave Flaubert m’a raconté est exact, la sérénade se serait chantée sur une mélodie, due à Mme Suzanne Lagier et notée par Aubert.