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SA VIE — SES ŒUVRES

révolution ne semble appliquée, et bien discrètement encore, à l’homme que dans la suite des âges futurs. Puisqu’il en est encore, à tort ou à raison, aux anciennes théories, Bouilhet aurait dû peut-être montrer d’une façon palpable la main d’un Dieu dans la création et l’ordre admirable dans lequel s’exécutent ses desseins éternels au milieu des phénomènes qui se succèdent dans le monde. Ce Dieu, certains le chercheront, et leur esprit, un instant ébloui par les tableaux du Passé et de l’Avenir qui se succèdent, regrettera de ne point trouver ce principe créateur qui, dans son auguste fécondité et dans une inspiration sans trêve, modèle la nature comme une molle argile.

Était-ce donc une tâche si difficile et si ingrate que celle d’indiquer d’une manière plus précise le principe ou le mouvement des êtres créés ? La langue du poëte était pourtant assez souple et assez harmonieuse. Ses vers hexamètres longs et sonores, d’une facture presque épique, pareils à de molles vagues toujours renaissantes, se déroulent avec une ampleur magistrale dont n’aurait pas fait fi Lucrèce. Le poëme est écrit avec abondance : il se complaît à décrire l’énormité grandiose des spectacles qu’il veut reproduire et la beauté des horizons qu’il ouvre à notre humanité perpétuellement régénérée. Cette qualité devient même quelquefois un défaut. Le début est un peu délayé et terne ; des descriptions vagues et trop longues des paysages du monde primitif se succèdent avec une certaine monotonie ; le poëte s’attarde à décrire les combats des monstres qu’il ressuscite. C’était l’écueil d’un pareil sujet.

Mais tout s’anime, le vague et la monotonie cessent, quand nous voyons apparaître les oiseaux et se multiplier les autres créatures. L’air se répand avec profusion, les eaux ondulent plus mollement, la végétation devient luxuriante, la lumière ruisselle, la vie circule avec une