Page:Angot - Louis Bouilhet, 1885.djvu/60

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
56
LOUIS BOUILHET

formules, l’application de l’instrument de précision à l’observation des choses et des faits, la déduction logique de lois proscrivant l’imagination[1]. « La poésie de la Science est bien à l’origine : les Parménide, les Empédocle, les Lucrèce en ont recueilli les premières et vastes moissons. Arrivée à un certain âge, à un certain degré de complication, la Science échappe au poëte, le rythme devient impuissant à enserrer la formule et à expliquer les lois… »[2].

D’ailleurs, avec la recherche de l’origine de l’Homme, de ses destinées et de l’avenir du Monde, l’horizon du poëte s’est élargi d’une façon singulière ; les problèmes les plus attachants et les plus redoutables offrent au penseur leurs inconnues, et les questions viennent se presser dans son esprit pour demander des solutions que le cœur appelle et redoute à la fois. L’Univers a-t-il un but idéal, ou fils du hasard, va-t-il au hasard, sans qu’une conscience aimante le suive dans son évolution ? À l’origine, quelque chose de divin fut-il mis en lui ? À la fin, un sort plus consolant lui est-il réservé ? Nos instincts profonds de justice sont ils un leurre ou la dictée impérieuse d’une volonté qui s’impose ? « …Vérité ou chimère, le rêve de l’Infini nous attire toujours, et, comme ce héros d’un conte celtique, qui, ayant vu en songe une beauté ravissante, court le monde toute sa vie pour la trouver, l’homme, qui un moment s’est assis pour réfléchir sur sa destinée, porte au cœur une flèche qu’il ne s’arrache plus… »[3].

De ces problèmes moraux et de ces problèmes physiques, Bouilhet n’a-t-il rien négligé ? A-t-il eu pour guide les dernières hypothèses de la science contemporaine, ou n’a-t-il fait que suivre les théories plus anciennes sur

  1. M. Caro, La Poésie scientifique au XIXe siècle.
  2. Sainte-Beuve, Chateaub. t. ii. — V. Alex. de Humboldt Cosmos, t. ii, Guill. de Humboldt. Fréd. Schlegel.
  3. E. Renan, Discours de réception à l’Académie française.