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SA VIE — SES ŒUVRES

les folies de ses convives, devient tout-à-coup tendre, passionné, langoureux ; la strophe, qui reflétait le rouge éclat de la salle du festin et respirait comme une odeur d’orgie, semble s’azurer des lueurs bleuâtres du clair de lune filtrant à travers les feuillages et s’imprégner des brises d’une nuit tiède et parfumée.

Si le poëte prend un grand soin de la forme, il ne se laisse pas séduire par le bruit des mots. On sent, dit Gustave Planche, qu’il a étudié l’Antiquité. Il a vécu dans l’intimité des grands écrivains de cette Rome qu’il décrit et même des auteurs de la décadence. La ville lui est aussi familière que la campagne romaine ; il s’y est promené souvent avec Virgile et Horace, avec Ovide, avec Tibulle, Catulle et Properce. Juvénal fut parfois son compagnon, (ne peut-on pas trouver pire compagnie ?) Il connaît le pont Fabricius où l’on allait de préférence se noyer, le Ludus Æmilius, école de gladiateurs, prés de laquelle étaient des ateliers de statuaires, les cimetières de l’Esquilin hantés par les loups et les sorcières qui parfois composaient des philtres avec le foie et la moelle des os desséchés d’un adolescent enterré vivant.

Avec lui, nous revoyons le Vélabre où se donnaient rendez-vous toutes les élégances et les corruptions de la vie romaine, le Forum où se trouvaient le Janus Moyen, lieu principal de réunion des gens d’affaires, le Putéal de Libon et, près des Rostres, la statue de Marsyas, au pied de laquelle se réunissaient les avocats. Suivons notre guide. Voici le quartier des libraires, près de l’Argiletum et de la Suburra, le Cirque[1], les théâtres où « les femmes se précipitaient comme des

  1. Non ego nobilium sedeo studiosus equorum…
    Ut loquerer tecum veni, tecumque sederem…

    Ovide, liv. III, Elég. 2, l’Art d’aimer.