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LOUIS BOUILHET

point de déclamation ! point de lieux communs de morale et de philosophie historique ! Il s’efface si bien derrière ses héros que sa personnalité disparait. C’est ce qui fait l’originalité de son œuvre.

On a répété à satiété que Melœnis était un pastiche de la manière d’Alfred de Musset dans certaines de ses poésies. Cette critique exaspérait Gustave Flaubert ; il s’en indignait et avec raison. S’il y a des critiques à faire, il faut les chercher ailleurs. L’ensemble de l’œuvre manque peut-être de ces reliefs puissants qui mettent un ouvrage au-dessus de toute discussion, mais les détails sont ciselés avec tout l’art original d’un orfèvre émérite. Aussi peut-on dire que c’est le plus beau joyau de l’écrin poétique de Louis Bouilhet. « La boutade s’y trempe dans l’amertume du sarcasme[1] », la caricature y perd sa vulgarité par l’érudition, l’ironie y prend je ne sais quelle finesse en passant par le rictus des masques antiques. Tout est présenté d’une façon pittoresque, tout s’enchaîne par des transitions presque toujours heureuses, pleines d’humour et d’un persifflage de bon goût. Ce qui fait encore l’originalité de ce conte, c’est que l’intrigue enlace bien toutes ses parties et les groupe sans effort dans un ensemble harmonieux. C’est pourtant une œuvre de longue haleine où la description, le récit, le dialogue alternent sans monotonie, malgré la strophe de six vers à rimes triplées choisie par l’auteur. Tout est fondu comme ton et comme couleur, rien n’y détonne, et le style y conserve du début à la fin une flexibilité remarquable. Quand Paulus, par exemple, quitte le triclinium de Marcius pour guetter dans les jardins la venue de la fille de l’édile, le vers, qui naguère encore décrivait avec un sérieux comique les bizarres somptuosités de la cuisine d’un patricien gourmand et

  1. M. Paul de Saint-Victor.