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LOUIS BOUILHET

des fauteuils et des lits qui se changent en nacelles, il avait inventé tout un système nouveau qui, seul, condamnait sa pièce à n’être jamais représentée, car la mise en scène eût ruiné la direction. C’était l’image même exprimée par le dialogue qui devenait visible et ne formulait matériellement aux yeux des spectateurs. Ainsi, un père cherche son fils, le trouve dans un café, buvant et fumant ; il s’irrite et lui dit : « Tu n’es qu’un pilier d’estaminet ; » à l’instant, le jeune homme devient un pilier et forme un des linteaux de la porte. — L’idée en elle-même était ingénieuse, mais elle bouleversait tellement les habitudes théâtrales qui, en pareille matière, tiennent médiocrement compte du travail littéraire et le subordonnent aux effets de mise en scène, qu’elle devait être considérée comme une innovation trop coûteuse et, par conséquent, inadmissible. Seul, Flaubert n’était pas capable d’agencer une pierre, d’en supprimer les développements auxquels il excellait et que repousse l’objectif dramatique. Il savait qu’il existe un art nouveau, l’art de combinaisons ; il avait entendu un de nos camarades, qui eut quelques succès au Vaudeville et aux Variétés, dire : « Je prouverai, quand on voudra, que Shakespeare n’a jamais su faire un drame » ; il savait que pour mouvoir les personnages dans des conditions acceptables, il faut ce que l’on nomme justement des ficelles ; mais, cet art, il l’ignorait ; ces ficelles, il ne les connaissait pas. Il s’adressa à l’un de ses amis, au comte X… dont quelques œuvres avaient réussi au théâtre. En outre, dans une féerie, les couplets, pour me servir du vieux mot, sont de rigueur, et j’ai déjà dit que Flaubert n’avait jamais pu mettre un alexandrin sur ses pieds ; toutes les fois qu’il avait voulu s’essayer à la poésie, il avait fait de la prose cadencée, mais de vers point ; il avait donc besoin d’un poète ; naturellement, il choisit Louis Bouilhet.