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LOUIS BOUILHET

Deux scènes bien différentes se passèrent alors. Dans la salle, les spectateurs étaient gagnés peu à peu par les vers sonores du poëte, les applaudissements retentissaient, et un franc succès ne tardait point à se dessiner. Dans les coulisses, derrière un portant se tenait Bouilhet, affaissé, ne sachant si l’on applaudissait ou si l’on sifflait, saisissant M. Maxime Ducamp par le bras comme un enfant qui a peur et lui disant : « Ne t’en va pas. » Ses amis vinrent bientôt l’assurer que c’était un grand succès ; rien ne pouvait le faire sortir de son espèce d’affaissement moral, tant l’émotion qu’il subissait était grande. Après le spectacle, Gustave Flaubert, Théophile Gautier, MM. d’Osmoy et Maxime Ducamp le reconduisirent jusqu’à sa maison. Il répétait à chacun : « Es-tu sûr que la pièce ne soit point tombée… ? » Il lui fallut deux jours de repos, dit M. Maxime Ducamp, avant de revenir à lui, de comprendre son succès et de se réjouir avec Flaubert qui était radieux. La pièce eut soixante-dix-huit représentations consécutives. Le nom de Louis Bouilhet était connu.

Après cette révélation éclatante, notre poëte quittait Paris pour se retirer à Mantes-sur-Seine, dans une petite maison, à l’angle du pont, près d’une vieille tour. — De temps en temps il faisait quelques apparitions à Paris. Parfois, conduit par Gustave Flaubert, il venait prendre place, chez le restaurateur Magny, à ces fameux dîners du lundi, où se réunissaient Sainte-Beuve, Gavarni, le docteur Veyne, Théophile Gautier, E. et J. de Goncourt, H. Taine, Ernest Renan, Schérer… etc. Puis il revenait dans sa chère retraite isoler, loin du bruit, ses recueillements. S’il a été heureux, c’est là. « … Il avait « un intérieur » qui lui était cher ; certains ennuis agressifs et impérieux, auxquels il essayait de se soustraire, l’atteignaient moins facilement qu’autrefois ; il vivait selon ses aptitudes, travaillant à