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LOUIS BOUILHET

ces deux noms se révélaient enfin, réunis dans une dédicace amicale, témoignage touchant d’une amitié que les années ne devaient faire que fortifier ! Amitié sincère ! amitié touchante, s’il en fut jamais ! amitié féconde, surtout pour Flaubert ! Ne rappelle-t-elle point dans une certaine mesure, avec un caractère plus intime, la fraternité intellectuelle de Goethe et de Schiller ? Un instant séparés à leur sortie du collège, nos deux amis ne devaient guère se quitter. Ils se pénétrèrent réciproquement si bien de leur influence, ils vécurent si longtemps de la même vie, tourmentés des mêmes préoccupations, possédés par les mêmes goûts, partageant les mêmes théories, qu’ils devaient finir un jour par prendre comme un air de ressemblance, tant leurs gestes, leur attitude, leur démarche, leur façon d’écouter et de parler, leurs phrases, leur accent normand étaient pareils ![1] Qu’un autre raille cette fraternité si étroite, si sincère, si loyale, si virile ! Pour moi, je j’admire et je l’envie. Vulgare amici nomen, sed rara est fides.

Il y a déjà longtemps que La Fontaine a dit :

Chacun se dit ami, mais fou qui s’y repose
Rien n’est plus commun que ce nom,
Rien n’est plus rare que la chose.

L’amitié, la véritable amitié est rare partout, et en tout temps. Elle est si rare surtout entre poètes ! L’amitié entr’artistes, on serait tenté de lui appliquer ce que le Pogge disait de l’amour : « C’est comme les esprits ; tout le monde en parle, personne n’en a vu. » La maison de Socrate est bien petite ! Sont-ils nombreux chez nous ces groupes d’hommes, qui, marchant du même pas, se soutenant l’un l’autre, ont porté l’auréole du talent et de l’amitié ? Montaigne et la Boëtie, Boileau et Racine, il n’y a guère, disait un jour Saint-René Taillandier, que ces noms qui me viennent sur les lèvres. —

  1. . Maxime Ducamp, Souvenirs littéraires.