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SA VIE — SES ŒUVRES

les épaules, les yeux et les bras, en laissant retomber sa tête, qui était une merveille de pantomime et qui dépeignait, à ne s’y pouvoir méprendre, le découragement et le dégoût le plus profond. « Le Chantre de Lisette » l’indignait avec son chauvinisme, sa philosophie grossière, sa forme négligée, ses plaisanteries contre les prêtres, avec son Dieu bon vivant et bon enfant « — Il a mis les articles du Constitutionnel en bouts-rimés, — disait-il, — il n’y a pas de quoi être si fier » —[1] Et pour montrer qu’il avait toutes les qualités d’un bon juge, il improvisait une chanson : « le bonnet de coton », par exemple, dont voici le premier et le dernier couplet :

Il est un choix de bonnets sur la terre :
Bonnets carrés sont au Temple des lois ;
Le bonnet grec va bien au front d’un père.
Et la couronne est le bonnet des rois ;
Bonnet pointu sied au fou comme au prêtre.
Mais le bonnet qu’aurait choisi Caton,
C’est, à coup sûr, n’en doutez pas, mon maître,
Le bonnet de coton. bis.

Dieu qui forma le ciel, la terre et l’onde,
Voulut enfin couvrir son front chenu ;
Par un chef-d’œuvre il termina le monde,
Et le bonnet après l’homme est venu.
Pendant six jours, plein d’une ardeur extrême,
Ce Dieu créa, créa comme un luron,
Puis, tout joyeux, il passa, le septième,
Son bonnet de coton. bis.

Son activité était incessante. Chemin faisant, ou bien auprès de ses élèves, au café, à l’Hôtel-Dieu, l’inspiration lui venait, et il écrivait rapidement les vers qui se présentaient, et quels qu’ils fussent. Souvent, dans une réunion d’amis, il restait immobile, absorbé dans une sorte de contemplation intérieure, l’œil fixe, la bouche entr’ouverte. Il était à la poursuite d’une rime. Tout-

  1. M. Maxime Ducamp, Souvenirs littéraires.