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LOUIS BOUILHET

initier des écoliers paresseux ou inintelligents aux beautés de Virgile et d’Homère, remettre sur leurs pieds des vers latins boiteux ou en éliminer les chevilles, corriger le langage bizarre des discours d’un aspirant au baccalauréat qui n’obtiendra point son diplôme, quel métier pour un homme dont l’oreille est hantée par le rythme des vers ! Il ne se décourageait point pourtant. Léger d’argent, riche d’espoir, il supportait assez gaiement ces caprices du sort, grâce à la vigueur de son tempérament et à la santé de son esprit. Il écoutait impassible les plaintes de Gustave Flaubert qui, plus favorisé de la fortune, sûr du lendemain, libre dans le choix de son travail, prêt à partir pour son voyage d’Orient, trouvait l’existence « agressive et injuste. » « S’il avait à gagner de quoi payer sa soupe et son loyer, que dirait-il donc ? » s’écriait-il un jour en riant.

Bouilhet était alors un beau jeune homme à la taille élancée, de haute mine et de prestance athlétique. Ses cheveux étaient blonds ; son front rayonnait d’intelligence. Tout en lui respirait la franchise. Malgré des allures un peu timides, il était très-absolu dans ses opinions et il savait les soutenir avec énergie. Sa conversation était spirituelle et parfois pleine d’ironie. Il fallait alors l’entendre exprimer son horreur pour le lieu commun et sa répugnance pour toute œuvre qui contenait une thèse philosophique, religieuse ou humanitaire. Romantique incorrigible, il exaltait Victor Hugo. Si Théophile Gautier avait ses bonnes grâces, il discutait Lamartine et faisait ses réserves pour admirer Alfred de Musset. Béranger était pour lui l’objet d’une véritable haine. Lorsqu’il en parlait, nous raconte M. Maxime Ducamp, à qui nous devons ces détails[1], il avait une façon de lever en même temps

  1. M. Maxime Ducamp, Souvenirs littéraires.