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SA VIE — SES ŒUVRES

«… J’ignore quels sont les rêves des collégiens, dit M. Gustave Flaubert, mais les nôtres étaient superbes d’extravagances, — expansions dernières du Romantisme arrivant jusqu’à nous, et qui, comprimées par le milieu provincial, faisaient dans nos cervelles d’étranges bouillonnements. Tandis que les cœurs enthousiastes auraient voulu des amours dramatiques, avec gondoles, masques noirs et grandes dames évanouies dans des chaises de poste au milieu des Calabres, quelques caractères plus sombres (épris d’Armand Carrel, un compatriote) ambitionnaient le fracas de la presse ou de la tribune, la gloire des conspirateurs. Un rhétoricien composa une apologie de Robespierre, qui, répandue hors du collège, scandalisa un monsieur, si bien qu’un échange de lettres s’en suivit avec proposition de duel, où le monsieur n’eut pas le beau rôle. Il me souvient d’un brave garçon, toujours affublé d’un bonnet rouge ; un autre se promettait de vivre plus tard en Mohican, un de mes intimes voulait se faire renégat pour aller servir Abd-el-Kader. Mais on n’était pas seulement troubadour, insurrectionnel et Oriental, on était avant tout artiste ; les pensums finis, la littérature commençait : et on se crevait les yeux à lire au dortoir des romans. On portait un poignard dans sa poche comme Antony. On faisait plus : par dégoût de l’existence, Bar… se cassa la tête d’un coup de pistolet, And… se pendit avec sa cravate. Nous méritions peu d’éloges, assurément ! mais quelle haîne de toute platitude ! quels élans vers la grandeur ! quel respect des maîtres ! comme on admirait Victor Hugo !

Dans ce petit groupe d’exaltés, Bouilhet était le poète, poëte élégiaque, chantre des ruines et des clairs de lune. Bientôt sa corde se tendit et toute langueur disparut[1] »,

  1. Préface des Dernières Chansons, p. 7.