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LOUIS BOUILHET

trouvé forcément limité. Il n’est pas descendu assez loin dans l’arène de la vie pour y circuler, se mesurer avec les lutteurs, apprendre leurs ruses, leurs feintes et leurs coups, pour y combattre et pour y vaincre. Assis sur les gradins de l’amphithéâtre, spectateur peu enthousiaste et trop souvent sceptique, il ne s’est point passionné naïvement pour les grands intérêts humains. Ce que M. Émile Zola appelle le document humain lui a manqué. S’il l’a aperçu, il l’a vu seulement à travers l’Art, à travers le prisme des formes littéraires. Il a trop sacrifié à ces formes ; il a été souvent trop païen, admirateur trop exclusif de la beauté plastique. Il lui a manqué ce je ne sais quoi de vibrant qui a ému l’inspiration d’Hugo, de Lamartine et d’Alfred de Musset, je ne sais quel souffle qui fait tressaillir l’âme du lecteur. Le lieu commun lui était insupportable ; et les sentiments humains, dit M. Maxime Ducamp, sont, après tout, des lieux communs. Il les a quelque peu négligés. Il fut trop artiste, et pas assez homme. On put croire qu’il voulait atteindre la sérénité olympienne d’un Goethe. Erreur funeste dont sa gloire souffrira !

C’est toujours chose téméraire que d’assigner des places de mérite à nos contemporains. Tel est célèbre aujourd’hui, qui, dans cinquante ans, sera complètement oublié, et tel autre dont le nom fut beaucoup moins vanté, dont le talent fut même nié par certains s’emparera après sa mort de la faveur de la foule. Faut-il citer l’exemple du musicien Hector Berlioz ? Autrefois son talent était fort discuté ; pour beaucoup il n’existait pas. Voyez aujourd’hui ce qui se passe ! Une lente réaction s’est opérée en sa faveur, on crie au génie. Attendons un peu, il va passer à l’état de demi-dieu ; il a son autel, ses fidèles, son culte, le Berlioz-cultus y comme dit avec son ironie teutone