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LOUIS BOUILHET

été la première et la plus déplorable victime[1], Sainte-Beuve a dit : « Voyons les hommes par l’endroit et par l’envers. Sachons ce que leur morale pratique confère ou retire d’autorité aux doctrines que célèbre et professe avec éclat leur talent… » Mais il ajoute : « … quand je dis de ne pas masquer l’homme, ce n’est pas que j’aie la grossièreté de vouloir qu’on exprime tout. Il y a des coins de vérité qu’on présenterait plus agréablement sous un léger voile… »

Sans ce voile, on arrive insensiblement à la diffamation posthume et au scandale. Ce voile ne manquera point par notre faute au poète que nous proposons d’étudier, si tant est que certaines particularités de sa vie puissent en avoir besoin. Qu’on ne recherche donc point ici de ces indiscrétions qui affriandent la foule railleuse et bruyante et piquent sa curiosité ; on ne les trouverait point. J’entends encore Gustave Flaubert me dire précisément à propos de Louis Bouilhet : « Je n’aime point ce genre de critique qui fouille dans la vie privée des gens sous le prétexte d’y trouver le sens de leurs ouvrages et le secret de la tournure plus ou moins originale de leur talent… » L. Bouilhet vécut surtout d’une vie intérieure intense sur laquelle les hasards de la vie de chaque jour n’eurent que peu d’influence, d’une vie intellectuelle dont les événements ne sauraient être le commentaire. Sans prétentions, sans pose, d’une nature essentiellement poétique, il semblait fouler aux pieds les vicissitudes de l’existence sociale, les épreuves et les chagrins, et oublier les fatigues pour s’élever sans cesse plus haut vers l’idéal qu’il poursuivait. Sa poésie, quelque peu païenne et amoureuse

  1. Sainte-Beuve et ses inconnues, par M. Paul Pons, Ollendorf, Paris 1879.

    La confession de Sainte-Beuve, par M. L. Nicolardot, un volume in-18. Paris, Rouveyre et Blond.