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Son art était condamné à être de seconde main.[1] La résurrection de la manière des Romantiques qu’il avait tentée avait contribué à son premier succès, il se crut lié pour toujours envers une école littéraire : il en resta toujours l’adepte fidèle et intransigeant.

Tu sé lo mio maestro e lo mio autore,

aurait-il pu dire à Victor Hugo comme Dante s’adressant à Virgile et le reconnaissant pour son maître.

Examinons ses procédés de composition : ils ne s’éloignent guère de ceux de Victor Hugo. Si on ne rencontre pas chez Bouilhet la recherche de l’exception dans les sentiments et les passions, la confusion entre un détail du cœur humain et le cœur humain tout entier, il est manifeste qu’il se préoccupe à son tour avant tout d’atteindre coûte que coûte la couleur, la saillie et l’effet. Il cède aussi à l’attrait de l’invention d’incidents et de coups de théâtre dont la cause provient quelquefois plutôt de la fantaisie que du caractère des personnages ; il est à la piste des thèmes pour exécuter quelque air de bravoure, très poétique d’ailleurs, mais fort peu en situation ; il court après le contraste et l’antithèse. L’antithèse ! Victor Hugo a coulé dans ce moule la plupart de ses pièces. Est-il bien utile de résumer à ce point de vue les principaux drames de son théâtre ? Hernani met aux prises un roi et un brigand, Angelo, la femme légitime et la courtisane. Ruy-Blas, le valet, aime la Reine d’Espagne et s’en fait aimer. Ailleurs, l’antithèse ne jaillit pas du choc de deux personnages différents, elle se place au centre d’un seul et même caractère. Triboulet est un vil bouffon, mais il est père, et le nain difforme se transfigure quand il revoit Blanche, sa fille bien aimée. Lucrèce Borgia est la

  1. M. Émile Montegut.