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LOUIS BOUILHET

théâtre éclatant comme une lumière dans l’obscurité et noyant dans l’ombre les gaucheries, les inexpériences du charpentier dramatique pour ne faire apparaître qu’une situation puissante, ces dénouements d’un large pathétique n’auront point perdu tout leur pouvoir.

Que manqua-t-il donc à Bouilhet pour laisser à jamais son œuvre au répertoire de notre théâtre ? Est-ce une vue ferme et droite de l’Humanité ? Non, ses personnages sont bien des hommes ; ce ne sont pas des fantoches, et leur caractère est en général bien tracé. Est-ce l’invention dramatique ? Non encore. Quoiqu’il n’ait point possédé la dextérité extrême avec laquelle nombre de dramaturges contemporains construisent leurs pièces, il ne fut pas dépourvu de la science de l’optique théâtrale. L’action ne fait point défaut dans ses drames, quoique ses personnages ne demanderaient pas mieux que de l’oublier. Ce qui a manqué surtout à Bouilhet, c’est le style, le vrai style dramatique. Ses héros expriment moins leurs sentiments qu’ils ne les racontent. On dirait, à voir l’abus qu’ils font des descriptions et des métaphores, qu’ils sont plus préoccupés de parler en beaux vers du but qu’ils poursuivent que de poursuivre ce but lui-même. Les drames de Bouilhet sont comme ceux de Victor Hugo, pour ainsi dire, des opéras où l’action, — car il y a une action, — n’y est prétexte qu’à la poésie. On y sent l’effort d’un poëte lyrique qui veut devenir poëte dramatique. Mais c’est surtout dans le domaine de l’Art, on l’a répété souvent, que la volonté n’est pas le génie !

Le lyrisme n’est pas le moyen le plus assuré de faii-e naître dans l’âme l’idée du grand. Corneille a l’héroïsme et la force ; il n’a jamais mis sur la scène la poésie lyrique qu’avec une extrême discrétion. Il suivait en cela les grands modèles. En relisant l’Œdipe-Roi, les Choéphores, l’Electre et les Euménides, on s’étonne des