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l’amour et le repentir sincères firent la renommée[1]. Il est plus attrayant pour une intelligence délicate de faire servir les puissances de l’Art soit à la création de personnages d’une époque ou d’un milieu de fantaisie soit à la création de héros imaginaires dont les aventures auront pour cadre l’Histoire, que de faire parler nos bourgeois, nos journalistes, nos financiers, nos ingénieurs ou nos notaires.

C’est ainsi qu’il a échappé complètement à ce réalisme ou à ce que certains nomment ainsi, à ce réalisme qui, surtout depuis Balzac, s’est infiltré peu-à-peu dans notre littérature et menace de nous envahir complètement. Eût-il voulu à son tour brûler quelque encens sur l’autel de l’idole, la rectitude de son esprit littéraire, la conscience de ses aptitudes, la sévérité de son goût et son atticisme l’en eussent promptement détourné.

Son bon sens littéraire n’a pas été sans le préserver d’autres erreurs. — À diverses époques, le Théâtre a eu la prétention de jouer le rôle d’initiateur et de vulgarisateur. Sénèque le Tragique et Voltaire trouvèrent le moyen de faire entendre à leurs auditeurs les principales maximes de leur philosophie. Pour certains autres. Ghénier, par exemple, la scène fut un moyen de propagande politique. Et naguère encore un écrivain dont j’ai oublié le nom intitulait bravement un recueil de pièces : « Théâtre scientifique. » ! Il s’est formé une école dramatique qui voudrait mettre la Scène au service des grandes réformes sociales et des grandes espérances de l’âme. Le Drame et la Comédie ont l’audace de vouloir corriger le Code. Eh quoi ! la peinture des caractères, des mœurs, des ridicules et des passions n’est pas un champ assez vaste pour que chacun puisse y glaner sa gerbe ! Non, tel s’adonnera à la réhabilitation de la

  1. Mademoiselle Aïssé.