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l’adoptèrent comme leur poëte dramatique et lui multiplièrent les ovations. N’y a-t-il pas un des secrets de ses triomphes ?

À deux exceptions près, il a choisi le sujet de ses pièces en dehors de la réalité contemporaine. C’était habile. Victor Hugo lui avait d’ailleurs donné ce prudent conseil en ne plaçant point le sujet de ses drames postérieurement au XVIIe siècle. Les œuvres dont l’action par la date s’éloigne dans le passé, lorsqu’elles sont le résultat d’un art sérieux et convaincu, ne comptent point sur l’opportunité, cette déesse recherchée des auteurs au mérite équivoque, et ne redoutent point la distraction momentanée d’une galerie partagée entre les mille petits intérêts de chaque jour qui s’écoule. Ce qu’elles montrent n’a pas besoin d’être vu un jour plutôt qu’un autre ; c’est aux spectateurs du présent et de l’avenir qu’elles s’adressent, et non aux spectateurs qu’une seule saison verra se réunir et se disperser. Tout conseillait à Bouilhet de s’adresser au passé pour y puiser ses inspirations. Son style, il le sentait bien, ne pouvait guère se plier aux exigences triviales, aux vulgarités, aux sottises de nos mœurs actuelles. Il n’avait point le génie de l’observation ; son regard, quoique vif et pénétrant, planait au-dessus des détails des demi-caractères et des demi-passions de nos contemporains. Il n’éprouvait pas de curiosité pour nos habitudes, nos vertus et nos vices et dédaignait de fouiller dans leurs asiles les plus obscurs avec cette patiente subtilité d’analyse dont Balzac nous a laissé de si remarquables modèles. Il était attiré plutôt vers le pays de la Fantaisie où l’imagination peut se donner carrière, et, rejetant d’un pied dédaigneux la fange de nos cités, s’envoler dans l’idéalité[1]. Il avait plutôt du goût pour ces

  1. Le Château dea Cœurs.