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SA VIE — SES ŒUVRES

ouverte pour un mort illustre, que sa correspondance est activement recherchée. Les larmes sont encore dans les yeux des siens, les affections qu’il a su se concilier sont encore saignantes du coup qu’elles ont reçu, son nom n’évoque point encore l’idée d’un souvenir, tant il est vivant dans l’esprit de chacun, qu’importe ! Sa vie privée est scrutée sans pudeur et sans scrupules, ses lettres sont livrées à la publicité sans choix et sans vergogne, sous le prétexte de faciliter la tâche de la critique. Si bien que les morts « rachèteraient la publication de leurs lettres à prix d’or. »[1]

Sans doute, la publication et l’étude des mémoires et de la correspondance de ceux qui ont laissé quelque trace de leur passage dans l’histoire des peuples, dans les Sciences, les Lettres ou les Arts, peut contribuer à donner plus de justesse à nos jugements, mais est-il besoin de connaître, pour ainsi dire, jour par jour, la vie privée d’un homme pour le bien juger, alors que cet homme n’a jamais été qu’un artiste ? Est-il besoin, en tout cas, de tant de hâte dans la divulgation de toute une vie, au risque de froisser bien des intérêts et de révéler certaines faiblesses qu’il vaut mieux laisser dans l’ombre ? J’admire le vieux Caton, ce type original du caractère romain, avec son esprit positif et caustique, avec sa rudesse et sa ténacité dans son attachement aux institutions de son pays ; que m’importe qu’il ait mouillé de vin sa vertu ?[2]

… Narratur et prisci Catonis
Sœpe mero maduisse virtus… ![3]

Sainte-Beuve qui a quelque peu contribué involontairement à l’éclosion de la littérature indiscrète et qui en

  1. M. Cuvillier-Fleury.
  2. idem.
  3. Horace.