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LOUIS BOUILHET

mal équilibré, trop longuement exposé et attristé inutilement par un double suicide ; il peut paraître quelque peu vieillot et rococo, pour me servir d’un mot de Gustave Flaubert, mais il a de nobles élans et une grande allure, surtout au troisième acte. Peu de poètes, depuis Corneille, ont trouvé des vers aussi vigoureux pour exprimer d’aussi fiers sentiments. Si Laura est presque infâme avec sa froide coquetterie et son égoïsme féroce, Dolorès est une adorable créature. Comme ce type d’amour magnanime fait contraste avec ce caractère de Fernand, tantôt fiancé volage d’une femme ravissante, tantôt amant irréfléchi d’une coquette sans âme, et chevalier d’héroïsme à outrance. Don Pèdre de Torrès, ce proche parent du marquis de Rouvray, de Madame de Montarcy, fait songer à don Diègue du Cid, ou à Ruy Gomez de Silva d’Hernani. Lorsque son fils est accusé du meurtre du marquis d’Avila, son entrée en scène est tout un drame.

Il ose m’embrasser, il n’est donc point coupable,

dit-il, dans un vers digne de Corneille. Cette entrevue du père et du fils est poignante. Il y a dans cette scène comme une révélation que l’auteur est un compatriote de notre grand tragique ; il y règne ce souffle puissant qui circule à travers les drames héroïques des vieux dramaturges espagnols, des Lope de Vega et des Calderon, chez qui le point d’honneur, cette fatalité consentie, comme disait Théophile Gautier, remplace le fatum antique. Dolorès, en dépit de son originalité, rappelle, par exemple, la strella de Sevilla, et surtout ces belles scènes où Sancho Ortiz de las Roëlas, meurtrier de Busto Tabera, par ordre de son souverain, refuse obstinément de livrer le nom du roi, Sancho el Bravo qui a armé son bras, où dona Estella se précipite aux pieds du Roi et sait délivrer son fiancé qu’elle refuse d’épouser.