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LOUIS BOUILHET

C’est à se faire suivre en passant par la ville !…
— Si tu mettais au jour quelque volume utile,
Quelque traité pratique, où l’on trouve à puiser,
Je comprendrais, du moins, et pourrais t’excuser !
Des vers !… écrire en vers !… mais c’est une folie !
J’en sais de moins timbrés qu’on enferme et qu’on lie !
Morbleu ! qui parle en vers ?… La belle invention !
Est-ce que j’en fais, moi ?… L’imagination !…
Est-ce que j’en ai, moi ?… Fils de mes propres œuvres,
Il m’a fallu, mon cher, avaler des couleuvres.
Pour te donner un jour le plaisir émouvant
De guetter, lyre en main, l’endroit d’où vient le vent !
Ces frivolités-là, sagement entendues,
Sont bonnes, si l’on veut, à nos heures perdues
Moi-même, j’ai connu, dans une autre maison,
Un commis, bon enfant, qui tournait la chanson,
Mais qui savait, du moins, ne se monter la tête
Que pour un mariage ou bien pour une fête…
Toi, tu prétends rimer… perpétuellement !…
Voyons ! est-ce fondé sur un raisonnement ?
Vivons-nous pour cela ? Crois-tu qu’il soit bien rare
D’accommoder des mots d’une façon bizarre ?
As-tu même, un grand point que je dois éclaircir,
La réputation qu’il faut pour réussir ?

Léon, exaspéré

Nous verrons…

M. Rousset.
Ah ! fort bien, tu vas à l’étourdie !

Croisant ses bras :

Pourrais-tu seulement faire une tragédie ?

Léon, avec résignation

S’il faut que je m’y mette…

M. Rousset, vivement

S’il faut que je m’y metteAu diable !… Avise-t’en !
Malheureux !…

Léon

Malheureux !…Mais jadis tu ne criais pas tant,
Quand, dans ton cabinet, une fois par semaine.
Tu me faisais, de force, avaler Théramène,
Et souvent au dessert, ce qui te semblait beau.
Réciter la Laitière avec Maître Corbeau !…