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SA VIE — SES ŒUVRES

bonheur. Tout-à-coup l’auberge est cernée par le comte de Brécourt et des soldats du guet ; le comte tient l’ordre en blanc d’enfermer à la Bastille quiconque s’opposera à ses volontés. Aydie veut défendre Aïssé, et déjà il croise le fer avec Brécourt, quand le commandeur de Mesme, en grand costume des chevaliers de Malte, suivi de plusieurs autres chevaliers, vient rappeler au chevalier les vœux qui l’attachent à l’ordre de Malte et qui doivent l’éloigner à jamais d’Aïssé. Aydie veut résister, mais les chevaliers de Malte l’entraînent, pendant qu’Aïssé, maudissant la loi du Christ, tombe inanimée entre les bras de ceux qui l’entourent.

Cette analyse permet, malgré sa sécheresse, de voir combien la vérité historique a été offensée par le poëte, et combien se trouve altéré ce caractère d’Aïssé que l’on connaît si bien grâce à sa correspondance, aux récits et mémoires du temps. Dans cette faible intrigue l’originalité de l’aimable Circassienne disparait ; et cette originalité n’est-elle pas « … d’avoir aimé le chevalier d’Aydie, d’avoir connu l’amour avant la vertu, la vertu après l’amour, d’avoir eu son cœur comme une lice ouverte aux combats obstinés de la tendresse et du devoir, d’avoir fait des vœux pour le devoir et contre elle-même, d’être morte enfin avec la joie suprême de les réconcilier l’un et l’autre en mourant… ? »[1] Des parties charmantes, de jolis détails et des épisodes gracieux comme la réception de Mme de Tencin à sa toilette, ne font point disparaître la faiblesse de l’intrigue, les invraisemblances du drame et son intérêt mal gradué. Ce commandeur de Mesme, qui semble avoir la prétention de jouer un peu le rôle de l’évêque dans Jocelyn, est une malheureuse invention qui ne sert qu’à dérouter nos idées d’histoire littéraire, à jeter une froideur glaciale

  1. Édouard Thierry.