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pousse au large ; il perd de vue la côte et n’aperçoit que la lame qui se résout en écume.

Ainsi ballotté par les flots, il avait épuisé ses forces et son courage, lorsque du pied il touche terre : c’est la plage, il n’en était qu’à quelques pas.

Cramponné toujours à sa barrique, comme les tourmentés de l’enfer à la barque du Dante, un dernier effort le conduit à terre, après une heure d’angoisses toujours croissantes.

L’aube apparaît à peine, il croit voir à l’horizon un point noir ; son cœur s’émeut. Ô mon Dieu ! dit-il en se jetant à genoux, ramené à bord sans accident, serait-ce pour revoir encore une fois les restes inanimés de ma chère Clotilde. Hélas ! il s’approche tout tremblant, Oh ! quel affreux moment que celui de la réalité ! Que de cris déchirants il laisse échapper ! C’est la tête ensanglantée de Clotilde, que l’animal féroce avait traînée sur ce lieu après en avoir dévoré le corps.

Le vieux soldat, que tourmentaient les souffrances de l’amitié, se dit : j’ai eu le courage du danger, j’aurai aussi celui de ne pas abandonner ici les derniers restes de ce que je possédais de plus cher au monde. Un lambeau de sa chemise lui sert d’enveloppe. Après cette résolution, il verse bien dos larmes sans pouvoir proférer un seul mot ; puis, enfin, retrouvant un reste de force, il