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délicieux que j’y ai passés, et comme, pour ajouter à mon bonheur actuel par l’idée du mal passé, le souvenir de ma sœur, fuyant avec moi dans les bois de Kaiserlantern les cosaques qui s’étaient emparés de l’établissement des mines, tout cela est présent à mon esprit.

» Ma tête était penchée au-dessus de la mer. Le bruit des flots qui se brisent contre notre frèle barque, produit sur mes sens l’effet d’un torrent qui se précipite du haut des montagnes ; je crois y plonger tout entier.

» Cette douce illusion ne fut pas complète ; je me réveillai ; et quel réveil, grand Dieu ! Ma tête se soulève, douloureusement je décolle mes lèvres enflammées, et ma langue desséchée n’y trouve qu’une croûte amère de sel, au lieu d’un peu de cette eau que j’avais vue dans mon rêve.

» Le moment fut affreux, et mon désespoir extrême. Je pensai me jeter à la mer, et terminer ainsi en un instant mes souffrances. Ce désespoir fut court, il y avait plus de courage à souffrir.

» Un bruit sourd, qu’on entendait au loin, ajouta aux horreurs de cette nuit. La crainte que ce ne fût le bruit de la barre du Sénégal, empêcha qu’on ne fit tout le chemin qu’on aurait dû faire. » Nous n’avions aucun moyen de savoir où nous étions. L’erreur était grande ; ce bruit n’était que celui des brisans qui se trouvent sur toutes les cotes d’Afrique.