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Des coliques affreuses, des vomissements continuels furent le résultat de cette boisson malfaisante, qui redoublait notre soif au lieu de la calmer. Quelques-uns tentèrent de boire leur urine, mais après plusieurs essais dégoûtants, ils y renoncèrent.

La nuit arriva et nous la passâmes derrière un monticule de sable ; heureux ceux qui pouvaient jouir de quelques instants de sommeil ; quant à moi je ne pus fermer l’œil. J’étais étendu auprès d’un soldat qui dormait profondément. Je désirais que cet homme ne se réveillât jamais, tant je prévoyais les souffrances que nous allions endurer.

Le troisième soleil se leva sur nos têtes depuis notre débarquement. Son ardeur insupportable rendit plus vives nos privations toujours croissantes ; exténués de soif, de faim et de fatigue, nous ne tenions plus à la vie que par le souffle ; nos lèvres se gerçaient, notre peau se desséchait, celle du ventre était collée contre nos reins, notre langue était noire et retirée dans le gosier.

Nous avions jusqu’alors redouté la rencontre des Maures ; mais dans ce moment nous les eussions regardés comme nos libérateurs. Qu’ils viennent, disions-nous, qu’ils nous chargent de fers, qu’ils nous fassent esclaves, pourvu qu’ils nous donnent de l’eau.

Le quatrième jour fut plus terrible encore. Chacun croyait toucher à son dernier moment ; le eut du désert soufflait avec violence, élevé en l’air, le sable donnait à l’atmosphère l’apparence