Page:Angers - Les révélations du crime ou Cambray et ses complices, 1837.djvu/73

Cette page a été validée par deux contributeurs.
72

gandages diminuer. Mais je pense que la déportation devrait être le châtiment uniformément imposé par la loi ; la commutation de sentence n’a pas le même effet. Pour l’homme qui a marché sur le bord du précipice, les dangers ordinaires ne sont plus rien, ne font plus d’impression. Pour le criminel condamné à mort, la déportation est un soulagement, une consolation, une planche de salut : il est dans son cachot, abattu, désespéré, attendant avec horreur l’heure de l’échafaud, qui approche, qui va sonner ; on ouvre la porte, il tremble de tous ses membres ; mais non, il se rassure, il retombe joyeux sur sa couche, il ne mourra pas, il ne sera que transporté ! quelle douce transition ! Il est le plus heureux des criminels : l’exil n’a rien d’affreux pour celui qui s’est vu face-à-face avec la mort ! Que les supplices soient plus doux, mais qu’ils soient certains, si l’on veut faire de l’effet. »

« Cambray, » dit le guichetier, « vous avez vu un prêtre hier ? on dit que vous vous êtes converti, que vous vous êtes fait catholique, que vous avez été baptisé… »

— « Oui, c’est vrai… en quelque sorte… Oh ! je ne sais pas encore… ce n’est pas fini… ces choses demandent du temps… je ne suis pas bien décidé… j’ai des doutes… »

— « Ah ! Cambray, » dit Mathieu, « ne parle donc pas de la sorte ; comment, à l’heure où te voilà rendu, est-il possible que tu aies de pareils sentimens ? »

— « Mathieu, je sais ce que j’ai fait et ce que j’ai à faire : mêle-toi de ce qui te regarde, ou c’est moi qui te l’apprendrai. Je n’ai pas eu à changer de croyance, moi ; j’ai eu en choisir une : je pense pourtant que j’aurais cru en Dieu, si j’y avais réfléchi… »

— « Il y en a bien peu qui n’y croient pas, » observa Mathieu ; « mais des gens comme nous, y pensons-nous jamais ?… Waterworth m’a souvent dit : tiens, Mathieu, après qu’on est mort, tout est mort ; va ton train et ne crains rien… Le misérable ! voyez à-présent où il nous a conduits… ! »

Et pendant tout ce babil de Cambray et de Mathieu, Gagnon était là muet, impassible, tenant un livre à la main, (c’était la vie des Martyrs,) lisant quelques lignes et nous regardant de côté : il était morne, pensif, impatienté de la conversation, et paraissant désirer de voir notre visite s’abréger. Il n’y avait rien dans sa figure qui parût jurer, contraster avec le cachot ; mais au contraire, le cachot et cet homme semblaient harmoniser ensemble, semblaient fait l’un pour l’autre… Et au milieu de ces trois scélérats, quel contraste ne fesait pas Gillan, le meurtrier !