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« Vous savez combien l’hiver dernier les paroisses des Comtés de Rimousky et de Kamouraska ont été affligées par la disette. St. Jean Port-Joly avait aussi son nombre de pauvres et de souffrans, parmi lesquels se trouvaient le Baron Tunique, sa femme et ses enfans. Un soir que le froid était à trente degrés au-dessous de zéro, et que le vent battait avec fureur sur les toits et les arbres glacés, il n’y avait ni vivres ni bois de chauffage dans la maison du Baron Tunique, et des enfans à demi-vêtus, pleurant et grelottant, en entouraient le maître, et lui demandaient du pain. La douleur et le désespoir dans le cœur, il sort au milieu de la nuit, se glisse chez un riche voisin, et revient avec un pain et quelques livres de lard. Le lendemain son voisin prend contre lui des soupçons, le fait arrêter comme voleur, et jeter dans cette prison, où il languit depuis plus de trois mois, attendant son procès et ne trouvant point de cautions pour obtenir provisoirement son élargissement. Voilà, entre mille autres histoires du même genre et aussi intéressantes, celle du Baron Tunique ! »

« Il y a déjà bien longtemps, » ajouta encore Waterworth, « que je suis enfermé dans cette prison, et que j’éprouve toutes les tortures qui résultent de la privation de la liberté. Mais je dois l’avouer avec tous mes compagnons, nous trouvons ici une source constante d’adoucissement à notre malheureuse condition, dans l’humanité et la sympathie de notre Gardien. Malgré les désagrémens que lui causent tous les jours les plus forcenés d’entre nous, et malgré surtout les inconvéniens qui résultent de la disposition de ce Bâtiment, il conserve toujours son humeur, et trouve les moyens de nous rendre la vie aussi supportable que possible. La douceur, soyez-en sûr, peut beaucoup plus sur des criminels, que la sévérité qui ne fait qu’aigrir les pervers et désespérer ceux dont la corruption n’a pas encore dissout le cœur. »

« N’allez pas croire pourtant qu’il y ait relâchement dans la discipline ; au contraire il faut toute la vigilance de notre Geolier pour découvrir les trames ourdies chaque jour, et pour contenir dans un espace aussi étroit tant de prisonniers, qui ont des rapports constans avec les gens du dehors, qui peuvent se procurer tous les instrumens nécessaires pour faire une brêche, et dont tous les efforts se réunissent pour éluder la règle. Aussi ne se passe-t-il point de jour qu’il n’enlève à quelques-uns d’entre nous des clefs, des limes, des cordes, des poignards, de l’eau-forte, enfin tout ce que d’officieuses maîtresses, qui soupirent après l’élargissement de leurs bien-aimés, peuvent faire loger dans des corbeilles que les détenus attirent à eux au moyen de cordes. »